Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/29

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je pourrais te tromper. Nous serons pauvres : cela empêche-t-il d’être heureux ? »

Et voilà le mystère : elles ont beau être douées d’une raison supérieure, ces enfantillages les grisent toutes comme un vin capiteux. En voyant cela, ne faut-il pas bien croire au dogme des poëtes, qui soutiennent qu’entre deux cœurs battant ainsi à l’unisson, la folie est sagesse, et la raison démence !

Éliane écoutait, entraînée, mais non persuadée, et l’éclair qui s’allumait dans ses beaux yeux enflammait la faconde du page.

Elle avait la bonne volonté de résister, mais elle était faible d’autant mieux qu’elle se croyait plus forte.

Ce maître Pol était si beau dans son juvénile transport ! si vrai ! si franc ! si tendre !

La brise, que le soleil du matin chauffait déjà, passait sur leurs bouches souriantes tout imprégnée des parfums de la corbeille voisine. Les oiseaux, au-dessus de leurs têtes, chantaient leurs libres amours. Il y avait des ivresses dans l’air.

Je ne sais comment les deux mains du page, tremblantes et frémissantes, s’étaient jointes autour de la fine taille d’Éliane. Leurs regards se baignaient l’un en l’autre, et leurs lèvres…

Mais le premier baiser ne fut pas échangé ce jour-là.

Au moment où le page voyait déjà sa victoire certaine, un mouvement eut lieu de nouveau sous le treillage, chargé de clématites et de jasmins, devant la porte de dame Honorée. Entre les feuilles flexibles et vertes, vous auriez pu apercevoir l’ovale amaigri d’une tête pâlotte, coiffée de cheveux blonds bouclés.

Non point le blond fauve et chaud de maître Pol : un blond féminin, délicat, mais fade.

La tête appartenait à un tout jeune homme qui avait à peu près l’âge de notre page. Le jeune homme avait nom Renaud de Saint-Venant : il était second écuyer de Françoise de Lorraine, fille unique du duc de Mercœur et femme du duc de Vendôme.

Renaud, après avoir regardé attentivement au travers du feuillage, se retourna du côté de la porte et prononça tout bas :

« Venez çà, bonne dame, et regardez ; vous allez voir un grand scandale et vous convaincre par vos propres yeux de la vérité de mon dire. »