Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/34

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sit les belles petites mains d’Éliane et les dévora de baisers.

La bonne béguine avait les sourcils froncés terriblement, mais c’était pour dissimuler cet obstiné sourire, qui lui revenait sans cesse, et malgré elle ses yeux se mouillaient.

« Devant moi ! voulut-elle dire. Devant moi ! criminels ! osez-vous bien !… »

Puis, sans savoir ce qu’elle disait, peut-être, car elle était émue et quelque pauvre rêve de jeunesse agitait ses souvenirs, elle ajouta :

« C’est beau, l’amour, c’est bon ! »

Encore une fois, nos deux amants virent le ciel ouvert.

Mais dame Honorée se leva brusquement, comme si ses propres paroles l’eussent éveillée en sursaut.

« Jésus ! fit-elle, où allons-nous ! Je crois que, moi aussi, je deviens folle ! Voilà, en vérité, d’honnête besogne que nous faisons à nous trois ! Je devrais avoir grande honte. Monsieur mon neveu, et toi, petite, l’amour est un péché, voilà le vrai. Pour se marier il faut avoir de quoi. Où sont vos rentes ? »

Éliane et maître Pol baissèrent les yeux sans répondre.

« Vous ne pouvez travailler de vos mains, mon neveu, reprit dame Honorée, parce que vous êtes gentilhomme ; je crois bien qu’Éliane est noble aussi, quoique je n’en aie point la certitude. Il faut vivre. La faim chasse, dit-on, l’amour, et le désespoir vient vite auprès d’un berceau où souffre la petite créature qui n’avait pas demandé à naître. Mes enfants, vous ne vous reverrez plus.

— Oh ! » firent à la fois les deux condamnés.

Et je suppose bien que maître Pol mit un juron ou deux au bout de cette exclamation. Peut-être trois.

« Vous ne vous reverrez plus, continua la bonne dame, jusqu’au jour de votre mariage. Et vous ne vous marierez que quand vous aurez de quoi manger du pain sec noblement, sans déroger ni déchoir. »

Ils voulurent protester, mais elle leur ferma la bouche d’un geste qui n’admettait pas de réplique.

« Pour manger du pain sec, poursuivit-elle, il faut à tout le moins douze cents livres par an. Quand on prend chez soi une jeune fillette comme je l’ai fait pour notre Éliane, on s’engage. Je contribuerai volontiers pour deux cents écus à l’œuvre de votre bonheur terrestre. C’est beaucoup, car je ne suis pas riche. La paix ! ne me remerciez pas. Reste à trouver les deux cents autres écus tournois. Vous pourriez lever bien des pavés avant d’en faire la découverte ; aussi, monsieur mon neveu, ne prenez point ce moyen. Rentrez chez votre maître, dites-lui franchement la maladie que vous avez et demandez-lui qu’il vous élève au grade d’officier à six cents livres de gages. »

Maître Pol baissa la tête dolemment.

« Autant vaudrait, grommela-t-il, me conseiller