Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/102

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du quartier de la Tour, et moi d’être natif de la paroisse Saint-Gilles, à deux pas d’Oxford-Street, où j’ai fait mes premières armes. Demain matin, nous quittons ce taudis ; nous allons au bois de Vincennes, nous faisons notre toilette dans un fourré et nous revenons bras dessus, bras dessous, jusqu’à la barrière sous notre déguisement de vacances, toi William Staunton Esq., libraire de petites bibles arrangées, Ave-Maria Lane, et mitress Olivia Staunton, moi, sa jeune compagne, tous deux à leur premier voyage de Paris, des guinées plein leurs poches et décidés à s’amuser comme des bienheureux. Nous descendons quelque part, aux environs du Palais-Royal, et va-t’en voir ce que sont devenus le conseiller privé du roi de Wurtemberg et le jeune alter ego du primat d’Autriche-Hongrie :

— C’est absurde, dit William ; est-ce tout ?

— Non… Si tu as le diable au corps pour partir, je veux bien partir, mais demain soir seulement et avec ma femme.

— Qui appelles-tu ta femme ?

— La syrène de ce soir, Mlle  d’Arnheim.

Le rouge vint sous la pâleur du baron.

— Tu sais qui est cette demoiselle d’Arnheim ? murmura-t-il entre ses dents.

— Parbleu ! répliqua le cadet, Lénor, c’est la fille Jacoby. Je l’ai rendue pour douze cent mille francs au temps où nous étions des malheureux, toi Mikaël et moi Solim, mais aujourd’hui je l’achèterais deux millions… Je suis riche.

— Imbécile ! prononça durement l’aîné, tu risques tous les jours ta vie pour quelques louis.

— Je veux l’épouser, entends-tu ? s’écria le blondin en se dressant sur le coude. Je le veux !… Et ne hausse pas les épaules ! Il y a assez longtemps que tu commandes ici, vieux William ! Je ne suis plus un enfant : il faut que ma volonté soit une loi tout comme la tienne !