Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/106

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de la chambre. Ils se regardèrent tous deux dans le fond de l’âme, et tous deux ensemble ils dirent entre leurs dents qui grinçaient :

— Tu as volé le missel !

Et ils frappèrent.

Bobby passa sous le coup de William qui fit un haut-le-corps pour éviter le coup de Bobby. Puis ils reprirent leur garde, pied contre pied, la longue figure du grand surplombant la tête blonde du petit.

La nuque de Bobby saignait ; il y avait du rouge à l’aisselle de William : les deux coups avaient porté.

Ils restèrent un instant, ainsi, la main gauche étendue sur la poitrine, et prête à parer, la main droite frémissante et serrant le poignard. Tous deux connaissaient manifestement l’implacable escrime du couteau qui ne pare que le cœur et la tête, laissant les membres à la merci du hasard. Là, il importe peu d’être blessé pourvu qu’on tue ; on sait d’avance qu’il faut une part du sang de l’un pour acheter tout le sang de l’autre.

Leurs yeux brûlaient comme quatre charbons rougis. William semblait plus fort peut-être ; Bobby était plus terrible.

À les voir tous deux blêmes de rage et altérés de meurtre, on eût parié pour le couteau de frère Ange, le vampire, contre le poignard du chevalier Ténèbre.

William jeta son arme le premier, après avoir fait un pas en arrière. Le bras de Bobby s’abaissa, tandis qu’il disait :

— Tu as peur, et tu vas rendre le missel !

— Je n’ai pas peur, répondit le grand ; mais je vois que la chaîne est encore à ton cou. Tu n’as pas volé, tu as perdu.

— Perdu ! s’écria Bobby. La chaîne est de pur acier. Elle porterait cent livres !

— Oui… fit-il cependant en saisissant un des bouts de la chaîne ; elle est brisée !