Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/125

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cés » même, qui hésiteraient avant d’inoculer de sang-froid, aux contrées les plus sauvages, la plaie qui se cache sous la splendeur menteuse de nos civilisations.

Ce n’est pas à dire qu’il ne faille rien améliorer, bien au contraire : il faut tout améliorer : l’élément moral aussi bien que le côté matériel des choses. Ce qui est laid et misérablement idiot, c’est de voir les villes subir leurs mœurs en nettoyant leurs rues.

En 1826, la grande route entrait dans le grand village magyare par un étang de boue en hiver, par un océan de poussière en été. La poussière de Szeggedin est célèbre en Hongrie, sa boue aussi. Les magyars ingénieux mettent bout à bout quelques planches pour traverser ces précipices, mais il est ordonné aux voitures de passer à côté des planches, afin de ne les point user, et le piéton confiant qui ose y mettre le pied est à peu près sûr de faire la culbute.

Le père pieux, la charrette et le fils paralytique arrivèrent deux heures avant le coucher du soleil, dans cette plaine défoncée qu’on appelle la place de Joseph II et où s’élève la jolie église byzantine de Saint-Job.

La charrette s’arrêta devant une sorte de caravansérail, portant pour enseigne un bœuf blanc, et dont la cour intérieure, large comme une de nos places publiques, était bordée de galeries en bois vermoulu. Le petit vieillard demanda modestement la chambre la moins chère qui fût dans l’auberge, y déposa son fils et sortit pour faire viser ses papiers au gouvernement.

Son passeport était au nom de Petroz Aszuth, marchand de cuir au Kaisebad d’Oten. La domesticité des auberges hongroises est, généralement, slave et, par conséquent, bavarde presque autant que le personnel des cabarets français. Avant l’heure du dîner, on savait toute l’histoire du bon petit Petroz Aszuth, qui amenait son fils innocent à la fontaine de Saint-Miklos.

Il avait bien besoin de la fontaine, ce pauvre grand garçon ! La fille de l’auberge qui lui porta sa nourriture