Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/175

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bouts se repliaient légèrement, de manière à figurer un croissant, était entourée d’une litière de paille, couche commune où s’étendaient les Chouans, lorsque l’heure du sommeil était venue. Au-dessus de cette litière, une sorte de râtelier contenait l’arsenal de rechange de la bande. C’étaient des armes de toute sorte, de toute forme et, on peut le dire, de toute provenance. À côté d’une rapière droite, à lame triangulaire, pendait un sabre recourbé à pointe de Damas, dont la poignée, bizarrement historiée, annonçait une origine musulmane ; auprès d’un tromblon de cuivre, à la gueule évasée comme le pavillon d’un cor de chasse, se dressait la longue et fluette canardière du chasseur des marais ; puis venait un luxueux fusil à deux coups, arme de gentilhomme, qui avait mis à mort, sans doute, plus d’un vieux loup, plus d’un fort sanglier ; puis encore un mousquet massif, un canon blanc et lisse, trophée conquis sur un pauvre milicien de la République. Au bout de ce magasin, sur un affût, une petite pièce de deux livres de balles était soigneusement recouverte de son étui de serge. Ce petit canon ne sortait jamais du souterrain ; c’était l’artillerie de défense.

Sainte ne vit tout cela, comme on le pense, que fort imparfaitement. L’aspect de tous ces hommes à figures farouches l’effrayait ; elle osait à peine lever les yeux, et avait rabattu son voile sur son visage.

— Bedeau, mon ami, dit un officier supérieur en costume, dans lequel Sainte reconnut M. de Vauduy, nous avions presque fait le sacrifice de ta précieuse personne. D’où viens-tu ? et qui nous amènes-tu là ?

— C’est trop de questions, répondit Jean Brand, et je n’ai pas le temps d’y répondre. Où est Mademoiselle ?

— Dans son boudoir, répliqua M. de Vauduy en ricanant.

Jean Brand traversa la foule, écartant à l’aide de ses coudes vigoureux ceux que la curiosité portait à s’approcher trop près de Sainte.