Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/181

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ou plutôt que nous sommes battus. Le général S*** est en campagne, le maudit Bleu ! Nous étions un contre quatre. Ah ! Mam’zelle Sainte, il y a bien des corps morts à cette heure sur la lande.

— Et mon père ? s’écria la jeune fille dans son égoïste tendresse.

— J’allais y venir, Mam’zelle, et je vous demande pardon de vous avoir parlé de nous. Il y a des nouvelles… de votre père d’abord… et puis d’un autre encore.

— Mon frère ?

— Bien touché ! C’est du gars René, en effet, qu’il s’agit.

Parlez, monsieur Brand, par pitié, parlez !

— Je suis venu pour cela, Mam’zelïe, et je viens de loin. D’abord, il faut vous souvenir que je vous dois quelque chose, et que j’avais promis de payer ma dette avant de mourir. Je l’ai payée, Mam’zelle, et tout à l’heure, je vais aller mourir… ça vous étonne ? Écoutez : il y a trois jours, un corps de Vendéens nous arriva ; les pauvres diables étaient dans un piteux état, car, depuis la Loire, ils avaient été poursuivis par les Bleus. Néanmoins, ils n’avaient perdu qu’un des leurs : un jeune homme, qui était tombé de fatigue à deux cents pas du Trou aux Biches. Je demandai son nom : — René Saulnier, me répondit-on.

— Mon frère ! mon pauvre frère !

— Attendez donc ! Je pris ma canardière et m’en allai sur la lande. René était là, qui tirait la langue à faire pitié. Je lui donnai ma gourde et le chargeai sur mes épaules ; mais les républicains arrivaient : saint Jésus ! nous l’avons échappé belle ! Heureusement que ma gourde avait ranimé René ; il fila, et je restai pour couvrir sa fuite.

— Excellent homme ! s’écria Sainte en prenant la main de Jean.

— Attendez donc ! Ce fut l’affaire de dix minutes. Les Bleus n’avaient plus de munitions, j’en ai été