Page:Féval - Les Belles-de-nuit ou les Anges de la famille, tome 1, 1850.djvu/122

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C’était un grand vieillard, maigre et osseux, dont les yeux hagards avaient quelque chose d’inspiré. Les longues mèches de ses cheveux gris étaient éparses sur son front. La fièvre des marais avait creusé sa joue pâle, mais il se tenait droit encore, et sa haute taille avait une sorte de théâtrale majesté.

Benoît Haligan exerçait, entre Glénac et le bourg de Bains, sa triple profession de passeur, de reboutoux (rebouteur, chirurgien) et de sorcier. Suivant la renommée, le don de seconde vue existait de père en fils dans sa famille depuis des siècles. On ne savait trop s’il était bon chrétien, ou serviteur du méchant esprit, mais il inspirait une grande confiance et une crainte plus grande encore.

Il avait été chouan du temps des guerres.

Quand les bonnes gens revenaient de Redon après la brune, et qu’il leur fallait passer le bac à Port-Corbeau, la peur les prenait une demi-heure à l’avance, et tout le long du chemin, par prudence, ils récitaient leurs meilleures prières.

Mais, à tout prendre, c’était un vrai Breton, qui avait donné de son sang à son roi et à ses maîtres.

En voyant sa porte tomber, brisée, Benoît ne bougea pas et garda ses bras croisés sur sa poitrine.