Page:Féval - Les Belles-de-nuit ou les Anges de la famille, tome 1, 1850.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LES BELLES-DE-NUIT.

— Ah !… fit l’Endormeur dont la bouche large resta entr’ouverte.

— Nous n’avons qu’un habit, poursuivit Robert en forme d’explication ; et il faut pouvoir se présenter si l’on veut faire quelque chose…

— C’est juste, dit l’Endormeur qui entrevoyait vaguement l’idée de son camarade ; mais c’est que ça peut durer longtemps, et une fois la comédie entamée, nous ne pourrons plus changer de rôle comme par le passé.

Blaise faisait ici allusion aux règles équitables et fraternelles qui régissaient l’association. Ils avaient quitté tous les deux Paris, où leur industrie subissait peut-être une de ces crises qui jettent périodiquement sur la province une nuée de bons garçons de leur sorte. On leur avait parlé de la Bretagne, ce paradis de bonne foi antique, où la défiance n’a point encore pénétré. Ils étaient venus l’esprit tout plein de pensées de conquête, comme Pizarre ou Cortès à la veille de vaincre Montézume ou les Incas. Mais de Paris à Redon la route est longue, et ils s’étaient arrêtés plus d’une fois en chemin. On avait fait argent de tout.

Depuis que le dernier habit avait été vendu pour subvenir aux frais du voyage, les deux compagnons se partageaient loyalement les bénéfices de la redingote. Chacun avait son jour