Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/34

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— Je ne le vois plus. »

Étienne donna un grand coup de poing sur la table et lança les papiers à l’autre bout de la chambre.

« Monsieur le voyait ! grinça-t-il ; Monsieur ne le voit plus ! J’ai l’honneur, apparemment, de parler à un fantaisiste qui a du foin dans ses bottes ? Les hommes calés ont droit de caprice, comme les jolies femmes ! Monsieur voudrait-il m’offrir un cigare, au nom d’une vieille et sincère amitié ?

— Je n’ai pas de cigare, mon pauvre Étienne.

— Dix centimes pour en acheter un alors ? Mais tu n’as pas dix centimes non plus, détestable poseur ! Tu vois, tu ne vois pas ! Est-ce qu’on voit ? Est-ce qu’on ne voit pas ? On fait un drame, ventrebleu ! Et puis, après nous, la fin du monde !

— Faisons la Fin du monde ! » dit Maurice en riant.

Étienne sauta d’un bon demi-pied sur sa chaise.

« Splendide sur une affiche ! s’écria-t-il. Porte-Saint-Martin ! cent mille francs de frais ! Douze clowns américains engagés pour nos représentations. Trois ballets, sans compter le jugement dernier. Trois actes, trente-deux tableaux. Une trompette de douze mètres pour l’ange, qui sera joué par Rouvière. Et l’Antéchrist !… Est-ce sérieux, ce que tu proposes là ?

— Non, ce n’est pas sérieux ; notre bourse n’est pas plus vide que ma tête ! »

Étienne, formellement habitué à cette gymnastique, retomba soudain du haut de son enthousiasme.

« Allons ! dit-il sans trop d’amertume, cette fois, je vais me coucher, ma poule. Si ta cousine Blanche aime les jeunes seigneurs qui ont juste l’énergie du linge mouillé, je m’invite à ta noce. »

Cette parole n’était pas encore tombée de sa bouche qu’il la regrettait déjà cruellement, car Maurice avait