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FORCE ET FAIBLESSE.

aimait tant ! Mais lorsque Reine quitta Nantes pour revenir avec son père en la capitale de la Bretagne, ce fut sans douleur bien amère et sans regrets fort cuisants.

Tandis que Roger se morfondait en pensant à elle, Mlle de Montméril n’était pas cependant, il faut le dire, sans songer un peu à lui. Voici comment : elle avait trouvé à Rennes Bertrand de Saint-Maugon, lequel ressemblait à son frère comme une bonne épée de combat ressemble à une rapière de parade. Ce fut en comparant que Reine se souvint. Or la comparaison n’était point à l’avantage du pauvre Roger. Bertrand Mauguer de Saint-Maugon, baron de Keruau, capitaine au régiment de la couronne, était chef d’armes, et succédait aux biens considérables de Mauguer ; Roger n’avait, lui, que son épaulette d’enseigne.

Cette différence importait assez peu à Mlle de Montméril, mais elle avait un père, et nous en devons tenir compte. À part cela, d’ailleurs, Bertrand, vaillant soldat et cavalier accompli, ne le cédait en rien à son frère par les avantages extérieurs ; pour les choses de l’intelligence et de l’âme, il était évidemment son maître. Reine vit cela. Qui sait ? le pauvre Roger avait frayé peut-être la voie qui conduisait au cœur de sa maîtresse. Le chemin frayé, ce fut Bertrand qui passa. Reine crut voir en lui sans doute un autre Roger plus parfait et plus digne.

Mlle de Montméril était une de ces femmes qui accaparent les regards et monopolisent les hommages. Bertrand, au contraire de Roger, prétendit résister à l’attrait qui l’entraînait vers elle. Il se savait fort ; il se confiait en lui-même, mais sa force le trahit. Et comme il avait résisté davantage, l’amour entra plus profondément dans son âme. Ce fut une passion en quelque sorte réfléchie, où il y avait de la tris-