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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— Je n’ai que faire de votre pardon, s’écria Roger en se levant, et je repousse votre pitié, monsieur… Reine m’aimait… je le sais… j’en suis sûr… entendez-vous ? j’en suis sûr !…

Il se mit à parcourir la salle basse à grands pas.

— Elle m’aime… on me tuera… vous pourrez être son époux… mais…

— Je le souhaite, répliqua Bertrand qui ne perdit pas cette inaltérable mansuétude que donne la vigueur morale.

Roger s’arrêta et regarda son frère en face. La souffrance vicie profondément les cœurs faibles. Roger se sentit venir un fougueux mouvement de haine.

— Hypocrisie !… pensa-t-il. Il me raille en héritant de mon bonheur !

Puis il ajouta tout haut avec rudesse :

— Que faites-vous ici ?… Je suis prisonnier ; vous êtes libre : ne puis-je au moins jouir de tout mon cachot ?

— Pauvre enfant ! murmura l’aîné de Saint-Maugon ; qu’elle doit être poignante l’angoisse qui met ces paroles dans la bouche d’un frère !

Il jugeait Roger d’après lui et se trompait. Certes, Roger souffrait ; mais dans sa souffrance, il y avait autre chose qu’un remords. Ignorant le dévouement de son frère, il se croyait prisonnier, sous le coup d’une accusation de trahison. Le châtiment prochain lui semblait une expiation. Ce qui le transportait de rage, c’était l’inutilité de sa faute. Reine lui échappait. Son honneur, cet inestimable enjeu, était joué, était perdu. En revanche, au lieu du bonheur espéré, il recueillait la honte.

La honte mortelle qui ne se rachète point ; l’échafaud.