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LES CONTES DE NOS PÈRES.

un pâle rayon de lune, qui glissait, fugitif et triste, entre les franges poudreuses des épais rideaux des fenêtres.

C’était toujours le même château, dressant superbement ses quatre hautes tours qui gardaient, comme autant de vigilantes sentinelles, les symétriques constructions du corps de logis. Il y avait toujours, d’un côté de la cour, les immenses écuries ; de l’autre, les communs. — Mais les communs étaient déserts, et deux chevaux grelottaient seuls dans la vaste solitude de l’écurie.

Un mauvais ange avait plané au-dessus de Kerhoat, secouant son aile sur ses joies, et mettant à néant du même coup sa splendeur et sa puissance.

Depuis deux ans, le chef actuel de la maison de Bazouge, vieillard octogénaire, avait perdu ses quatre fils aînés : deux à l’armée de Condé, deux sur l’échafaud. Le cinquième combattait en Vendée. M. de Bazouge habitait seul son château de Kerhoat avec Henriette, sa petite-fille. Jusqu’alors, son grand âge et la vénération de ses anciens vassaux avaient suffi à le protéger.

Les paysans de Noyal-sur-Vilaine et les sabotiers de la forêt se découvraient encore sur son passage, lorsque, à de rares intervalles, il parcourait, appuyé sur le bras d’Henriette, les campagnes qui avaient été son domaine. Quelques-uns même lui disaient bien bas : — Dieu vous bénisse, notre monsieur ! Les femmes, toujours plus courageuses, ne se cachaient point pour saluer Henriette d’un cordial : — Bien le bonjour, notre demoiselle ! Mais là s’arrêtaient les marques de respect ou de sympathie. On n’était qu’à trois lieues de Rennes, cité de 25,000 âmes, qui jouissait de cinq guillotines, et il n’était besoin que d’un pareil voisinage pour enseigner la prudence aux plus étourdis.