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JOUVENTE DE LA TOUR.

qui lui gardait place en son paradis ; ensuite, Robert de Coëtquen hérita du château de Combourg et autres fiefs du seigneur son père, ce pourquoi Robert partit en toute hâte ; mais, avant de partir, il dit à l’oreille de Nielle, qui rougit sous son voile de deuil :

— Je reviendrai.

Nielle aimait bien son vieux père ; elle fut inconsolable. Tant que durait le jour, elle pleurait. Le manuscrit, en une phrase obscure et de mauvaise latinité, laisse percer l’opinion que le souvenir de Robert était pour quelque chose dans cette douleur amère et obstinée. Nous ne donnerons point notre avis là-dessus. Toujours est-il que Jouvente perdit son temps à vouloir sécher les larmes de sa fiancée ; le pauvre garçon se désolait, car le jour du mariage approchait, et c’est une lugubre fête qu’un mariage où l’épousée pleure.

La veille des noces, Jouvente se rendit comme d’habitude au manoir où l’attendait cette fois une agréable surprise. Nielle ne pleurait plus ; elle avait même disposé avec une sorte de coquetterie sa sombre toilette. C’était un changement aussi rapide que complet.

— Aurais-je amené le bonheur dans mon bac ? demanda joyeusement Jouvente. Hier, j’ai conduit sur cette rive un cavalier qui ne m’a point voulu montrer son visage.

Nielle détourna vivement la tête ; mais Jouvente poussa un franc éclat de rire.

— Il m’a donné un écu d’or pour son passage, continua-t-il ; j’en aurais donné vingt, moi qui suis un pauvre homme, pour retrouver ton doux sourire, Nielle, ton sourire que tu me cachais depuis si longtemps.

Il baisa le front de sa fiancée et regagna sa tour, impatient de voir le soleil du lendemain.