Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/111

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ses meubles, agrandissait son parc, supprimait les constructions voisines pour se ménager une plus belle vue.

On voulait lui faire choisir une compagne parmi ses amies d’enfance, les unes devenues veuves, les autres promues vieilles filles. Mais, passant la main dans ses cheveux, il aspirait à une plus brillante conquête. Nouveau seigneur de ces domaines, il prétendait conduire à l’autel la plus jolie fille du village.

A côté de Bonnet, il fallait voir son avocat, le futur administrateur de sa fortune, superbe et rayonnant. N’était-ce pas lui qui, le premier, avait soupçonné le millionnaire sous l’humble bottier ? N’était-ce pas par ses soins qu’on était parvenu à découvrir ce précieux secret, et à ravir à la vieille Germanie ce trésor ? Il groupait les millions ; il les faisait manœuvrer dans son étude hantée d’habitude par des hôtes plus modestes ; il les jetait par les fenêtres. On se serait cru chez l’intendant de M. de Rotschild. Il circulait à pas comptés, ruminant des chiffres ; de temps à autre, on l’entendait murmurer : Cent mille piastres… château… Francfort… Bismark…

Le voyant si agité, les gens se rangeaient respectueusement sur son passage. Apparaissaient déjà sur son front les rides creusées par les préoccupations d’une administration trop compliquée.

Après s’être abandonné à toutes les joies d’une fortune anticipée, il fallut songer à la réaliser. La lettre qui annonçait la prodigieuse nouvelle était très-explicite et fort détaillée. Avec cette lettre-là à la main, on pouvait se rendre à Francfort et ramasser l’héritage. Comme on se doutait bien en Allemagne que Bonnet avait oublié la langue de ses ancêtres, on avait eu soin de joindre au texte allemand une excellente traduction. La traite, adressée à la Banque de l’Amérique Britannique du Nord, était en bonne forme.

Il fut décidé que Bonnet irait en personne, accompagné de