Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/112

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son avocat et des principaux citoyens de l’endroit, réclamer à la banque le paiement, en or, de sa traite. Tout le monde était d’opinion qu’on ne pouvait mettre trop d’empressement et de solennité dans cette première démarche. Seulement, si Bonnet avait en portefeuille une traite de $108,000, il manquait de monnaie pour défrayer ses dépenses de voyage. Il y eut lutte pour savoir qui serait admis à la faveur de lui prêter de l’argent : l’avocat l’emporta. De plus, le costume de cet homme fortuné avait été jusque-là fort négligé ; il avait grandi dans l’ignorance des tailleurs. Le conseil municipal lui vota une garde-robe et les meilleurs artistes du village furent employés à l’habiller des pieds à la tête ; ils se surpassèrent.

Le jour du voyage à la ville fixé, il fut convenu que tous les paroissiens accompagneraient Bonnet et son avocat jusqu’à la station du chemin de fer. Les vieillards restèrent à garder les maisons. La démonstration fut, brillante, enthousiaste, et Bonnet, en gants jaunes, s’élança, suivi de son avocat, dans le train rapide qui l’emporta dans la direction de la Banque de l’Amérique Britannique du Nord.

La nouvelle qu’un millionnaire venait de prendre le train se répandit promptement parmi les passagers. La foule se pressa dans le char qui le portait. Il y avait là des hommes d’affaires qui exprimèrent quelques doutes sur la traite, mais leur voix fut promptement étouffée sous les clameurs enthousiastes de la foule. On s’arrachait Bonnet qui commençait à se friper.

Aussitôt arrivé en ville, le cortège se dirigea vers la banque, l’avocat battant la marche d’un pas rapide. On fit ouvrir à deux battants la grande porte, et le millionnaire franchit pour la première fois le seuil du temple de l’escompte. Mandé en toute hâte, le caissier accourut à la nouvelle que l’on réclamait le paiement immédiat, en or, d’une traite de Francfort de $108,000.

— Faites payer de suite, dit l’avocat en lui tendant la