Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/116

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jour un torrent de larmes dans son potage bouillant, en songeant que le petit absent manque de confitures à son dîner.

La vie est remplie d’épreuves : les moralistes le disent, et notre existence de chaque jour le prouve ; mais il n’est guère d’épreuve qui paraisse plus dure que celle d’apprendre sa première leçon, sur un banc de bois, lorsque l’on vient de quitter la bergère moelleuse de sa mère. On commence avec courage, on entame la tâche avec intrépidité, mais aux premières difficultés, aux premières résistances de la mémoire, les yeux se lèvent involontairement et se tournent d’instinct vers l’horizon encadré dans les étroites fenêtres de la salle d’étude. Cet horizon se remplit à l’instant des plus riantes images : le panorama des vacances passe lentement sous les yeux de l’écolier. Il est dur de revenir ensuite à son devoir, et de pareilles visions désenchantent vite de la grammaire.

Les anciens écoliers, d’ailleurs, au lieu d’adoucir ce qu’ont de rude les premiers jours de la vie de collège, n’épargnent rien pour en accroître les amertumes. Les nouveaux ou navets sont les victimes d’odieuses persécutions, de supplices raffinés. Non content de les soumettre à la torture morale du ridicule, on les enferme parfois dans un cercle de bourreaux qui accablent la victime de coups de genoux aussitôt qu’elle tente de s’échapper. Le cercle se resserre peu à peu et finit par presser si vivement le navet, qu’il en sort mortifié et attendri.

Peu après la rentrée des élèves, les passions révolutionnaires commencent à fermenter. Des complots s’organisent contre le repos des professeurs et la tyrannie des classiques. On a lu Salluste, on se souvient de Cicéron, on admire Brutus. Mais Pharsale arrive, et la victoire reste à César ; il faut se remettre au latin. L’ordre règne au dortoir troublé durant quelques nuits par des appels aux armes imités de l’antique.

De mon temps, au collège, grands et petits tentèrent une parodie de la révolution de 48. On se souvient que la plus bénigne des républiques avait été accueillie, même dans le