Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/180

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à ces frais, encore moins de faire les dépenses nécessaires pour figurer, à son rang, dans les réceptions et les solennités de la Confédération.

Ce grand gaillard de Haut-Canada, qui aime à montrer sa mâle beauté et à faire sonner haut son gousset bien garni, nous regardait d’un air fort méprisant et tenait sur notre compte des propos odieux :

— Ce petit peuple Québecquois, disait-il, épousera quelque laideron sans dot, une fille bossue ou muette. Avec sa courte taille, ses modiques ressources, son fort accent normand, et l’infirmité que lui a laissée sa chute du haut des remparts de Québec en 1759, quelle jeune personne un peu bien voudrait de lui ? Les bonnes danseuses politiques iront à Ottawa. On ne verra dans les salons du parlement de Québec que celles qui, d’ordinaire, faisaient tapisserie, et le clergé romain ne leur permettra pas de danser autre chose que le quadrille. Un tour de valse serait un acte d’opposition, un pas de non-confiance.

— Je vois ce qui va arriver, continuait le grand gaillard, en retroussant son épaisse moustache. Ces bons Canadiens-français s’apercevront promptement que cela ne va pas ; ils se demanderont comment il se fait qu’il n’y a jamais d’argent en caisse depuis que je n’y dépose plus mes fonds. Le Bas-Canada se couchera pendant quelque temps sans souper, en regrettant le temps où nous prenions nos repas ensemble. On se lasse de ce régime ; et un soir que la faim le pressera, il mettra sous clé son amour-propre et viendra frapper à ma porte.

Ainsi pensait, ainsi parlait le Haut-Canada, lorsque, le premier juillet dernier, nous nous séparâmes, l’œil sec, près de la chute des Chaudières.


C’était par un beau jour, le soleil qui montait radieux à