Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/194

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Voilà les pensées, les rêves qui m’obsédaient, l’autre jour, après avoir lu, dans le Canadien, que notre confrère M. Cruchon avait tenté d’escamoter au gouvernement local et d’emporter, dans le fond de son chapeau, un million et demi d’acres de terres toutes neuves. Cela m’a fait venir l’eau du St.-Maurice à la bouche. Je connais bien peu de publicistes qui refuseraient d’aller passer la belle saison à quarante milles des Trois-Rivières, si l’on ajoutait les revenus d’un chemin de fer, même tout petit, à leurs appointements ordinaires.

Il faudrait cela pour réhabiliter les chemins de fer dans l’opinion publique. On ne doit pas se dissimuler, qu’en général, ils sont mal vus parmi nous. D’abord, nous craignons toujours qu’ils n’enrichissent quelqu’un ; et ce que l’on aime le moins en notre sage pays, c’est ce qui fait la fortune du voisin. Dès que l’on n’amasse pas d’argent soi-même, on se demande pourquoi les autres en amasseraient ; et d’un commun accord, d’un seul élan, on court sus à l’entreprise, on abat la spéculation qui ose montrer la tête.

Puis, le chemin de fer de l’Industrie ne fascine personne et le Grand-Tronc n’est pas populaire. La plupart de nos concitoyens sont sous l’impression que le pont Victoria a été construit à même les sueurs du peuple. Chaque fois qu’un train du Grand-Tronc déraille, ceux qui ne sont pas dedans s’écrient :

— C’est bien fait ; cela leur apprendra à construire des chemins de fer avec notre argent !

Il y a des gens qui s’étonnent très-sincèrement que l’on fasse payer le prix du passage sur un chemin de fer qui coûte si cher… aux actionnaires anglais.

— Il est temps que l’on voyage pour rien, au moins entre Montréal et Québec, s’écrient-ils avec conviction.

Tant il est vrai qu’on ignore encore, en plus d’un quartier, que le Grand-Tronc est un cadeau qui nous est venu d’Angleterre, et que nous avons eu à peine à en payer le fret.