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que le défilé était magnifique. Les simples spectateurs plus impartiaux trouvèrent, qu’en général, ces demoiselles n’étaient point aussi jolies qu’ils l’auraient désiré et qu’elles-mêmes se le figuraient. La beauté baisse, à ce qu’assurent les femmes d’autrefois, la taille diminue, le teint s’en va, les grands traits se perdent. Il y a trop de dentistes : cela fait tomber les dents de bonne heure !

Trois ou quatre jeunes filles frappèrent particulièrement la foule impartiale et non pas indifférente, et l’une d’elles, Mademoiselle Marguerite Aubé, plus que les autres encore. Aussitôt qu’elle parut, un mouvement général se produisit, et l’éclair de son regard traversa la salle, faisant jaillir de tous les yeux l’admiration. À dix-sept ans, sa démarche, son grand air étaient déjà d’une grâce accomplie et d’une assurance parfaite, sans l’ombre de cette timidité et de ce léger embarras qui se trahissent d’ordinaire dans les premiers essors de la coquetterie. L’attention se fixa sur elle, sur sa beauté faite pour être vue ainsi d’un peu loin, au-dessus de la foule. On avait pressenti ce succès, car elle n’était venue qu’à la fin du défilé et comme pour le clore magnifiquement.

La toilette de toutes ces demoiselles était charmante. À en juger seulement par là, les fortunes et les positions des parents devant être à peu près égales. Il s’en fallait de beaucoup pourtant qu’il en fût ainsi, et l’on se serait fort trompé en leur assignant à chacune un rang d’après le prix ou l’éclat de la robe. Plusieurs des plus riches se fussent trouvées au-dessous des moins à l’aise. Les mères de famille habillent leurs filles, non pas selon leur fortune, mais selon leur vanité, qui est souvent d’autant plus grande et exigeante que la fortune est plus modeste. D’ailleurs, il n’y a pas de pays au monde où les parents gâtent autant leurs enfants qu’au Canada, et où, en revanche, les enfants gâtent moins leurs parents.

Mademoiselle Aubé était mise au gré de ses désirs. Sa blanche parure coûtait fort cher à son père, petit marchand