Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner. Il faut que dans une heure je sois, en cravate blanche, chez le digne M. Perret.

Les jeunes gens vidèrent leurs verres d’un : trait et le docteur commença :

— Vous vous marierez tous un jour, mes chers amis ; je le souhaite du moins, car le mariage seul a chance de vous empêcher de venir si souvent au Terrapin. La question est de savoir comment vous vous marierez. Presque toutes les jeunes filles des classes aisées dans notre pays, sont élevées pour épouser dès gens riches. Si vous n’êtes pas rentiers, peut-être vaudrait-il mieux que vous ne vous mariassiez pas. Pour vous distraire de votre intérieur troublé par des exigences excessives, vous n’en viendriez que plus souvent ici et tôt ou tard vous y laisseriez votre vie misérablement. De nos jours, les parents négligent volontiers de donner une dot à leurs enfants ; en revanche, ils consacrent tous les soins à les mettre en état de faire honneur à la fortune de leurs maris. La toilette est un art que l’on ne possède jamais bien si on n’en a pas reçu de bonne heure les premières notions. Les femmes qui s’habillent mal sont celles qui ont eu des mères économes. On entoure donc les jeunes filles de tout ce qui peut leur former le goût : on leur met aux mains les armes élégantes avec lesquelles elles doivent fusiller nos écus. Le moment de les marier arrive, un bon jeune homme se présente. On regarde sa figure, est-il beau ou laid ? On examine son habit, est-il à la dernière mode ? On mesure sa taille, est-ce celle d’un grenadier ? Est-il invité dans la bonne société ? N’a-t-il pas un petit cousin qui est marchand de hardes faites au Marché Bonsecours ? Enfin, quels sont ses revenus ? S’il ne se tire avec honneur de toutes ces questions, il est éconduit. Les gens parfaits sont rares. Après d’infructueuses recherches, il faut bien se résigner à prendre un mari qui est laid, ou qui ne s’habille pas à la mode, ou qui n’est pas dans la société, ou qui a un petit cousin marchand de