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BALS D’ENFANTS

— « Il y a longtemps, mademoiselle, que j’ai été frappé de l’éclat de vos beaux yeux ; je n’ai pas attendu le plaisir de vous connaître pour vous admirer, et pour me sentir entraîné vers vous par un de ces courants sympathiques, auxquels on tente en vain de résister, et dont les flots brûlants ne touchent le cœur qu’une fois dans la vie. En vous voyant, j’ai senti que ma vie était fixée, et que j’étais condamné au doux supplice de la passer à vos pieds. Je vais rentrer dans l’esclavage du collège encore une fois ; mais j’y emporte votre cher souvenir pour me soutenir dans les tribulations de l’étude. Bientôt je serai libre, et nous unirons nos destinées… »

Il me paraît difficile, après avoir entendu ou dit ceci, de se remettre allègrement à la prose du collège ou du couvent et aux thèmes. Ce qui est plus ridicule encore, c’est qu’il y a des gens sensés, raisonnables, de grands garçons, qui débitent de semblables fadeurs à des ingénues de treize ans. Ils leur font les mêmes déclarations qu’aux jolies veuves. Bien n’est plus attristant, à mon avis, rien ne révolte plus le sens moral comme de voir manquer de respect à l’enfance. C’est lui manquer de respect que de lui parler de ce qu’elle doit ignorer. Parlez-lui plutôt de ses jouets, de ses poupées, que des soupirs inédits de son cœur et de l’impression que font ses yeux bleus sur votre fade imagination de danseur, corrompue par le lieu commun.

De grâce, Mesdames et Messieurs, rajeunissons les hommes, si nous pouvons, mais ne vieillissons pas les enfants. Rester enfant le plus longtemps possible, rester jeune toute la vie, c’est le secret du bonheur. N’abrégeons pas les saisons heureuses en les hâtant ; laissons le printemps s’évanouir de lui-même, et reprendre et refleurir mille fois.