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LE JOUR DE L’AN

Je devrais peut-être parler des toilettes du jour de l’an, discuter, commenter et surtout admirer ces œuvres d’art. Mais c’est là un sujet trop délicat pour que je m’y risque ; j’aurais peur de commettre une de ces fautes de détail, imperceptibles aux yeux peu exercés des hommes, mais irrémédiables aux yeux des femmes, et après lesquelles on est jugé et mal jugé. Les femmes seules sont dignes de juger les femmes ; elles seules savent admirer dans toutes ses nuances une toilette réussie, avec une conviction ardente et un enthousiasme réfléchi ; elles seules surtout savent découvrir dans la toilette qui éblouit nos faibles regards le point faible où doit se poser la critique pour en détruire l’effet. Il y a peu de femmes qui réussissent plus de deux ou trois fois dans la vie à obtenir une toilette inattaquable, réduisant au silence ou contraignant à l’admiration les bonnes amies. La félicité qu’éprouve une jolie femme ce jour-là l’indemnise amplement de la mortification et des ennuis que lui ont causé parfois les toilettes triomphantes de ses rivales. Autant il est maussade d’entendre des jolies femmes causer avec passion des cuisinières qu’elles ont renvoyées, autant il est instructif, intéressant, entraînant, de les entendre disserter sur les mille questions renfermées dans une seule toilette, analyser les chiffons, approfondir l’harmonie des couleurs et l’accord des nuances.


Il me reste un souhait à faire pour terminer ma revue du jour de l’an, et je demande à mes lecteurs de s’unir à moi dans ce souhait :

Souhaitons tous ensemble que la mode qui vient délivre les femmes de ces affreux voiles de laine dont elles s’enveloppent la figure et qui ont le tort de nous empêcher de les regarder sans avoir l’avantage de les empêcher de nous voir.

Souhaitons aussi que cette année commencée un jour maigre s’écoule grassement, et démente par sa bonne conduite les