Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/61

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qui aient l’onglée aux doigts. L’homme qui aime ardemment son pays, n’y gèle jamais.

Nous avons peu à peu subi l’influence de notre climat et il nous a façonnés, jusqu’à un certain point, à son image. Comparons-nous à nos compatriotes de France, à ces Français si vifs, si légers, si remuants, si brouillons, et nous verrons que le froid a ralenti notre sang et s’est glissé jusqu’à notre âme. Notre abord est plus glacé ; nous sommes plus renfrognés dans nos capots ! Si nous n’ôtons pas notre chapeau à tout venant, comme fait le Français, c’est que nous portons une casquette ou si l’on veut un casque, la moitié de l’année ; si les petits pieds ne sont pas en aussi grand honneur, parmi les femmes, ici qu’en France, c’est qu’il faut les déguiser, les deux tiers de l’année, soit sous des feutres, soit sous des claques.

Une seule chose m’étonne, c’est que les fashionables n’aillent point passer l’hiver à la campagne, tout comme ils vont y passer l’été. Ils jouiraient du froid tout à leur aise. Au milieu de juin, au moment où les trains ne circulent que dans un nuage de poussière, une foule de gens se croient obligés de quitter la ville, où ils sont bien, pour aller périr de chaleur, de faim et de soif dans des hôtels encombrés. Ils en reviennent amaigris, criblés de coups de soleil, et ce n’est pas trop du régime fortifiant du pot-au-feu canadien pour les remettre des longs jeûnes de la villégiature, pas trop des plus épaisses flanelles pour les guérir des suites des courants d’air.


Si ce sont les mésaventures que l’on cherche, on en aura à souhait l’hiver. Par le temps qui court, les trains partent et n’arrivent plus, même lorsqu’ils portent des ministres ! Le train se met en route à grande vitesse, on croirait qu’il va dévorer l’espace ; au bout de dix minutes, il s’arrête brusquement et les voyageurs vont s’asseoir sur les bancs de neige.