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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

pérance, la fainéantise, le sot orgueil, le vice enfin, voilà vraiment le laid, voilà le hideux. À vrai dire, hors de là je ne le connais plus. Que ne puis-je d’un bond, mes bien-aimés enfants, vous élever à ces hauteurs où l’esprit se complaît dans l’infinie variété des êtres, et trouve en chaque créature un aliment nouveau à son admiration ; que ne puis-je, devançant l’âge, vous ouvrir à l’instant les trésors du savoir, où vous puiserez un jour, je l’espère, avec toute l’ardeur que je m’efforce d’éveiller ; vous verriez alors combien s’amoindrit, s’anéantit le laid imaginaire, pour faire place à une réelle perfection.

Je reviens à la chauve-souris, sinon avec l’espoir de vous la faire trouver belle, du moins avec la certitude de vous intéresser à sa remarquable structure. Je gage d’abord qu’aucun de vous ne sait au juste ce qu’est une chauve-souris.

Émile. — C’est un oiseau.

Jules. — C’est un vieux rat qui a pris des ailes.

Paul. — Vous venez l’un et l’autre de dire une sottise. Voilà bien comme nous sommes tous. Nous parlons à tort et à travers des bêtes et des gens, accordant à l’un notre estime, poursuivant l’autre de nos mépris, sans savoir ce qu’ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils valent. Vous ignorez le premier mot de l’histoire de la chauve-souris, et vous accablez le pauvre animal de gros mots injurieux.

La chauve-souris n’a rien de commun avec les oiseaux, dont elle ne possède ni le bec ni les plumes ; ce n’est pas davantage un rat qui sur la fin de sa vie aurait acquis des ailes. C’est bel et bien une créature spéciale, qui naît, vit et meurt avec des ailes, sans appartenir en rien à la parenté des oiseaux. Son corps a la grosseur, le poil et quelque peu la forme de celui de la souris ; ses ailes sont nues, chauves. De ces deux caractères associés vient le nom de chauve-souris.

Les animaux les plus parfaits en organisation ont pour signe distinctif des mamelles, qui fournissent le lait, première nourriture des petits. Ces animaux ne donnent pas la becquée à leur jeune famille, comme le font les oiseaux ; ils n’abandonnent pas leur progéniture à toutes les chances de la bonne ou de la mauvaise fortune, sans le moindre souci de son avenir, comme le font les stupides races des reptiles et des poissons : ils l’élèvent avec des soins maternels, d’une incomparable tendresse ; ils la nourrissent quelque temps du