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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

plus à dîner faute d’insectes, ils se mettent à dormir, mais d’un sommeil si profond, si lourd, que pour le désigner on se sert d’un mot spécial, du mot de léthargie.

Un autre proverbe dit : Comme on fait son lit on se couche. La bête, qui ne manque jamais d’esprit pour gérer ses propres affaires, se garde bien de l’oublier ; de sages précautions ont été prises avant de s’abandonner au long sommeil d’hiver. Le hérisson se choisit un gîte entre les fortes racines de quelque souche d’arbre. Sur le déclin de l’automne, il y transporte herbes et feuilles sèches, qu’il dispose en une pelote creuse, au centre de laquelle il s’enroule et s’endort. Les chauves-souris s’assemblent par troupes innombrables dans les tièdes profondeurs de quelque grotte, où rien ne puisse venir les troubler. La tête en bas et serrées l’une contre l’autre, elles se cramponnent aux parois, qu’elles recouvrent d’une sorte de draperie velue ; ou bien, accrochées l’une à l’autre, elles forment des grappes qui pendent du plafond. Maintenant l’hiver peut sévir, la bise faire rage : le hérisson dans son épaisse coque de feuilles, les chauves-souris dans leurs réduits abrités, dorment profondément jusqu’à ce que la belle saison revienne, et avec elle les insectes, la nourriture, l’animation, la vie.

Émile. — Pendant tout l’hiver ils ne mangent rien ?

Paul. — Rien.

Émile. — Les chauves-souris et le hérisson ont donc un secret pour cela. Pour ma part, je mange en hiver avec bien plus d’appétit, et ce n’est pas le dormir qui m’enlèverait la faim.

Paul. — Oui, le hérisson et la chauve-souris ont un secret pour cela. Ce secret, je vais vous le dire ; mais c’est un peu difficile, je vous en préviens.

Il est un besoin devant lequel la faim et la soif se taisent, si violentes qu’elles soient ; un besoin toujours renaissant jamais assouvi, qui sans repos se fait sentir, pendant la veille et pendant le sommeil, de nuit, de jour, à toute heure, à tout instant. C’est le besoin d’air. L’air est tellement nécessaire à l’entretien de la vie, qu’il ne nous a pas été donné d’en réglementer l’usage, comme nous le faisons pour le manger et le boire, afin de nous mettre à l’abri des conséquences fatales qu’amènerait le moindre oubli. C’est pour ainsi dire à notre insu, indépendamment de la volonté, que l’air pénètre dans