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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

aux insectes et aux divers mangeurs, qui finiraient par rester maîtres de nos récoltes, si d’autres que nous ne s’opposaient à leur excessive multiplication. Que peut l’homme contre leurs hordes faméliques, se renouvelant chaque année dans des proportions à défier tout calcul ; aura-t-il la patience, l’adresse, le coup d’œil nécessaires pour faire une guerre efficace aux moindres espèces surtout, fréquemment les plus redoutables, lorsque le hanneton, malgré sa taille, brave tous nos efforts ? Se chargera-t-il d’examiner ses champs motte par motte, ses blés épi par épi, ses arbres fruitiers feuille par feuille ? À ce prodigieux travail, le genre humain ne suffirait pas, concertant ses forces pour cette unique occupation. La dévorante engeance nous affamerait, mes enfants, si d’autres ne travaillaient pour nous, d’autres doués d’une patience que rien ne lasse, d’une adresse qui déjoue toutes les ruses, d’une vigilance à qui rien n’échappe. Guetter l’ennemi, le rechercher dans ses réduits les plus cachés, le poursuivre sans relâche, l’exterminer, c’est leur unique souci, leur incessante affaire. Ils sont acharnés, impitoyables ; la faim les y pousse, pour eux et leur famille. Ils vivent de ceux qui vivent à nos dépens, ils sont les ennemis de nos ennemis.

À ce grand œuvre travaillent les martinets qui tourbillonnent en ce moment au-dessus de nos têtes, les chauves-souris qui voltigent autour de la maison, les chouettes qui s’appellent dans les saules creux de la prairie, les fauvettes qui gazouillent dans le bosquet, les grenouilles qui coassent dans les fossés ; bien d’autres y travaillent, le crapaud lui-même, objet d’horreur pour la plupart. Béni soit Dieu qui, pour la défense de notre pain quotidien, nous a donné la chouette et le crapaud, la chauve-souris et la couleuvre, le lézard et le hibou. Tous ces maudits, ces calomniés, sottement poursuivis de nos répugnances et de nos haines, en réalité nous viennent vaillamment en aide et doivent être réhabilités en notre estime. Je ne manquerai pas à ce devoir à mesure que l’histoire de chacun viendra. Béni soit Dieu qui, pour nous protéger contre le grand mangeur, l’insecte, nous a donné l’hirondelle et la fauvette, le rouge-gorge et le rossignol. Ceux-là, joie du regard et de l’ouïe, gracieuses créatures parmi les plus gracieuses, aurai-je encore à les défendre ? Hélas ! oui ; leurs nids sont ravagés par le barbare dénicheur.

Je me propose aujourd’hui, mes enfants, de vous faire con-