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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

sante, pleine de malice, qui ne mérite aucune pitié. Il faut se venger de sa scélératesse, le bien faire souffrir pour servir d’exemple aux autres, le détruire sans miséricorde. Et si, par hasard, c’était tout le contraire ! si le hibou était un animal inoffensif, très utile même et digne de notre protection ! Il faudra s’en informer. »

Le soir, chez l’oncle Paul, ce fut sa première demande. À la description que Louis en fit, Paul eut bien vite reconnu l’oiseau.

Paul. — L’oiseau que Jean a cru devoir clouer vivant sur son portail est la chouette des clochers, autrement dit l’effraie. La malheureuse créature ne méritait en rien l’affreux traitement qu’on lui a fait subir. Je la plains d’être tombée entre des mains rendues cruelles par l’ignorance. Bête et méchant, dit-on ; et c’est très juste. Qui ne sait pas est froidement cruel ; il est féroce s’il obéit à de sottes idées. Des bruits extravagants ont cours peu favorables à l’effraie ; Jean les répétait, les tenant d’un autre, et les transmettait à son tour aux polissons qui voulaient crever les yeux de l’oiseau. Il est faux que l’effraie s’introduise dans les églises pour boire l’huile de la lampe qui veille nuit et jour au sanctuaire ; il est faux qu’elle se réjouisse quand tinte le glas d’un trépassé ; il est faux que son chant sur le toit d’une maison annonce la mort prochaine de l’un de ses habitants. Sont faux tous les récits sur son influence maligne, sur ses lamentables présages, et c’est abdiquer le sens commun que d’ajouter la moindre foi à des contes aussi absurdes. Nos destinées, mes enfants, sont entre les mains de Dieu ; lui seul connaît notre avenir, lui seul sait notre dernière heure. Prenons en pitié les faibles d’esprit qui croient la chouette en possession du redoutable secret de notre fin ; plaignons-les, mais au grand jamais ne faisons à la raison l’injure de croire qu’un hibou, exprimant à sa manière sur un toit sa joie d’avoir pris une souris, annonce de sa voix lugubre les inexorables décrets du destin. Les neveux de l’oncle Paul ne doivent pas s’arrêter davantage à de pareilles superstitions. Passons.

Que diriez-vous de Jean s’il s’était avisé de faire expirer son chat, cloué au portail par les quatre pattes ?

Louis. — Je dirais qu’il a perdu la tête, et que si jamais les rats le mangent, il le mérite bien.

Paul. — Ce que vous lui avez vu faire revient à peu près