Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/131

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Et cette becquée se compose d’une fine marmelade d’insectes broyés, porphyrisés entre les mandibules de la Guêpe nourrice. Les insectes préférés pour la préparation de cette pâtée du jeune âge sont des Diptères, des mouches vulgaires surtout ; si de la viande fraîche se présente, c’est une aubaine dont il est largement profité. Qui n’a vu les Guêpes pénétrer audacieusement dans nos cuisines ou se jeter sur l’étal des bouchers, pour découper un lopin de chair à leur convenance et l’emporter aussitôt, dépouille opime à l’usage des larves ? Lorsque les volets à demi fermés découpent sur le parquet d’un appartement une bande ensoleillée, où la Mouche domestique vient faire voluptueusement la sieste ou s’épousseter les ailes, qui n’a vu la Guêpe faire brusque irruption, fondre sur le Diptère, le broyer entre les mandibules et fuir avec le butin ? Encore une pièce réservée aux carnivores nourrissons.

Tantôt sur les lieux mêmes de la prise, tantôt en route, tantôt au nid, la pièce est démembrée. Les ailes, de valeur nutritive nulle, sont coupées et rejetées ; les pattes, pauvres de suc, sont parfois aussi dédaignées. Reste un tronçon de cadavre, tête, thorax, abdomen, unis ou séparés, que la Guêpe mâche et remâche pour la réduire en une bouillie, régal des larves. J’ai essayé de me substituer aux nourrices dans cette éducation avec une purée de mouches. Mon sujet d’expérience était un nid de Polistes gallica, cette Guêpe qui fixe aux rameaux d’un arbuste sa petite rosace de cellules en papier gris. Mon matériel de cuisine était un morceau de plaque de marbre sur lequel je broyais la marmelade de mouches, après avoir nettoyé les pièces du gibier, c’est-à-dire après leur avoir enlevé les parties trop coriaces, ailes et pattes ; enfin la cuiller à bouche était une fine paille, au bout de laquelle le mets était servi, d’une cellule à l’autre, à chaque nourrisson entrebâillant les mandibules non moins bien que le feraient