Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/140

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à la première occasion ! Enfin suffit. » Il partit. J’ai toujours cru que mon ruban rouge avait été pour beaucoup dans ce départ. J’inscris encore à l’actif dudit ruban rouge d’autres petits services du même genre dans mes expéditions entomologiques ou botaniques. Il m’a semblé, était-ce une illusion, il m’a semblé que dans mes herborisations au mont Ventoux, le guide était plus traitable et l’âne moins récalcitrant.

La petite bande écarlate ne m’a pas toujours épargné les tribulations auxquelles doit s’attendre l’entomologiste expérimentant sur la voie publique. Citons-en une, caractéristique. — Dès le jour, je suis en embuscade, assis sur une pierre, au fond d’un ravin. Le Sphex languedocien est le sujet de ma matinale visite. Un groupe de trois vendangeuses passe, se rendant au travail. Un coup d’œil est donné à l’homme assis, qui paraît absorbé dans ses réflexions. Un bonjour même est donné poliment et poliment rendu. Au coucher du soleil, les mêmes vendangeuses repassent, les corbeilles pleines sur la tête. L’homme est toujours là, assis sur la même pierre, les regards fixés sur le même point. Mon immobilité, ma longue persistance en ce point désert durent vivement les frapper. Comme elles passaient devant moi, je vis l’une d’elles se porter le doigt au milieu du front, et je l’entendis chuchoter aux autres :

« Un paouré inoucènt, pécaïré ! »

Et toutes les trois se signèrent.

Un inoucènt, avait-elle dit, un inoucènt, un idiot, un pauvre diable inoffensif mais qui n’a pas sa raison ; et toutes avaient fait le signe de la croix, un idiot étant pour elles marqué du sceau de Dieu. Comment ! me disais-je, cruelle dérision du sort ; toi qui recherches avec tant de soin ce qui est instinct dans la bête et ce qui est raison, tu n’as pas même ta raison aux yeux de ces bonnes femmes ! Quelle humiliation ! C’est égal : pécaïré, terme de la suprême commiséra-