Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/188

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marche Triboulet, avec son mulet et son âne, Triboulet le doyen des guides au Ventoux. Mes collègues en botanique scrutent du regard, aux fraîches lueurs de l’aurore, la végétation des bords du chemin ; les autres causent. Je suis la bande, un baromètre pendu à l’épaule, un carnet de notes et un crayon à la main.

Mon baromètre, destiné à relever l’altitude des principales stations botaniques, ne tarde pas à devenir un prétexte d’accolades à la gourde de rhum. Dès qu’une plante remarquable est signalée : « Vite, un coup de baromètre », s’écrie l’un ; et nous nous empressons tous autour de la gourde, l’instrument de physique ne venant qu’après. La fraîcheur du matin et la marche nous font si bien apprécier ces coups de baromètre, que le niveau du liquide tonique baisse encore plus rapidement que celui de la colonne mercurielle. Il me faut, dans l’intérêt de l’avenir, consulter moins fréquemment le tube de Torricelli.

Peu à peu disparaissent, la température devenant trop froide, l’Olivier et le Chêne vert d’abord. Puis la Vigne et l’Amandier ; puis encore le Mûrier, le Noyer, le Chêne blanc. Le Buis devient abondant. On entre dans une région monotone qui s’étend de la fin des cultures à la limite inférieure des Hêtres, et dont la végétation dominante est la Sarriette des montagnes, connue ici sous le nom vulgaire de Pébré d’asé, poivre d’âne, à cause de l’âcre saveur de son menu feuillage, imprégné d’huile essentielle. Certains petits fromages, faisant partie de nos provisions, sont poudrés de cette forte épice. Plus d’un déjà les entame en esprit, plus d’un jette un regard d’affamé sur les sacoches aux vivres, que porte le mulet. Avec notre rude et matinale gymnastique, l’appétit est venu, mieux que l’appétit, une faim dévorante, ce qu’Horace appelle latrantem stomachum. J’enseigne à mes collègues à tromper cette