Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, première série, 1916.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

y prêtait sa verticale aux exploits du graphomètre.

Or, dès la première séance, quelque chose de suspect attira mon attention. Un écolier était-il envoyé au loin planter un jalon ; je le voyais faire en chemin stations nombreuses, se baisser, se relever, chercher, se baisser encore, oublieux de l’alignement et des signaux. Un autre, chargé de relever les fiches, oubliait la brochette de fer et prenait à sa place un caillou ; un troisième, sourd aux mesures d’angle, émiettait entre les mains une motte de terre. La plupart étaient surpris léchant un bout de paille Et le polygone chômait, les diagonales étaient en souffrance. Qu’était-ce donc que ce mystère ?

Je m’informe, et tout s’explique. Né fureteur, observateur, l’écolier savait depuis longtemps ce qu’ignorait encore le maître. Sur les cailloux de l’harmas, une grosse Abeille noire fait des nids de terre. Dans ces nids, il y a du miel ; et mes arpenteurs les ouvrent pour vider les cellules avec une paille. La manière d’opérer m’est enseignée. Le miel, quoique un peu fort, est très acceptable. J’y prends goût à mon tour, et me joins aux chercheurs de nids. On reprendra plus tard le polygone. C’est ainsi que, pour la première fois, je vis l’Abeille maçonne de Réaumur, ignorant son histoire, ignorant son historien.

Ce magnifique Hyménoptère, portant ailes d’un violet sombre et costume de velours noir, ses constructions rustiques sur les galets ensoleillés, parmi le thym, son miel apportant diversion aux sévérités de la boussole et de l’équerre d’arpenteur, firent impression vivace en mon esprit ; et je désirai en savoir plus long que ne m’en avaient appris les écoliers : dévaliser les cellules de leur miel avec un bout de paille. Justement mon libraire avait en vente un magnifique ouvrage sur les insectes : Histoire naturelle des animaux articulés, par de Castelnau, E. Blanchard, Lucas. C’était riche d’une