Page:Fabre d’Églantine - Le Philinte de Molière, 1878.djvu/14

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Je n’en sache pas un que je voulusse croire
Assez franc et sincère, ici comme autre part,
Pour mériter de moi la faveur d’un regard !
Et que, dans le projet de quitter ma patrie,
Vous deux soyez les seuls que mon âme attendrie
Ne puisse abandonner parmi ceux que je vois,
Sans vous revoir au moins pour la dernière fois !

ÉLIANTE.

J’espère un meilleur sort. Vous changerez d’idée.
L’espérance, en mon cœur, en est juste et fondée.
Vous ne nous quittez pas ?

ALCESTE.

Vous ne nous quittez pas ? Je ne vous quitte pas !
Je porterai si loin ma franchise et mes pas,
Qu’enfin je trouverai pour eux un sûr asile.
Morbleu ! grâce au destin qui de ces lieux m’exile,
Je veux voir une fois si ce vaste univers
Renferme un petit coin à l’abri des pervers ;
Ou si j’aurai la preuve effrayante et certaine
Que rien n’est si méchant que la nature humaine.

PHILINTE, ricanant.

Allons… apaisez-vous. Vous n’êtes pas changé ;
Et si je puis ici former un préjugé
Sur un dessein si prompt et sur votre colère,
Nous pourrons aisément arranger votre affaire.
On la dirait terrible, à voir votre courroux ;
Mais je m’en vais gager, cher Alceste, entre nous,
Que ce nouveau désastre est au fond peu de chose.

ALCESTE.

C’est un amas d’horreurs dans l’effet, dans la cause ;
Et vous déjà, Monsieur, qui me désespérez,
Qui jugez de sang-froid ce que vous ignorez,
Voyez s’il fut jamais une action plus noire
Que le trait… Attendez ! avant que cette histoire,
Qui sera pour notre âge un éternel affront,
Vous fasse ici dresser les cheveux sur le front,
Attendez qu’à Dubois je donne en diligence
Un ordre assez pressant et de grande importance.
Dubois !