Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

conscience, sans aucune intervention de sa sensibilité morale. Et c’est ainsi, on le sait, que les juges de l’ancien régime jugeaient toujours et considéraient qu’il était de leur devoir de juger. En d’autres termes, on faisait juger par la loi, c’est-à-dire par quelque chose qui était aussi éloigné que possible de l’espèce et à qui il était absolument impossible de faire la psychologie du criminel particulier qui était en cause, et qui ne connaissait rien du tout de la question particulière. Autrement dit encore, on faisait juger, non le criminel, mais le crime. Et c’était très bien, si l’on voulait punir. — Voyez-vous bien là la preuve qu’on ne se fiait pas à un juge intelligent, précisément à cause de son intelligence, pour punir un homme et que par un détour et une fiction, on le forçait à ne pas juger lui-même. Et c’était très bien si l’on voulait punir. Il n’y a que deux moyens pour être sûr que les criminels seront punis : les faire juger par un livre qui ne les connaît pas et qui ne les a prévus qu’abstraitement, ou les faire juger par des hommes exprès choisis pour être incapables de les comprendre. Et les deux systèmes sont très bons si l’on veut que la société se protège et se défende.

Retenons de ceci que la culpabilité est une manière de préjugé et que jamais nous ne savons à quel point un homme est coupable, ni s’il l’est. Tout