Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/166

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D’abord il est indéracinable et inévitable, et c’est une folie que de le vouloir extirper ou de vouloir s’en affranchir ; mais, de plus, il est une chose excellente, il est une chose sainte. — On vous dit : aimez votre prochain. Quand on analyse cette pensée, on voit qu’elle est fausse jusqu’à en être puérile, et l’on voit qu’elle est une faiblesse. Cet amour de votre prochain, ce n’est « qu’un mauvais amour de vous-même », car « vous entrez chez votre prochain pour fuir devant vous-même et de cela vous voudriez faire une vertu ; mais je pénètre votre désintéressement ». Ce que vous cherchez chez le prochain, c’est quelqu’un qui vous supporte, parce que vous ne savez pas vous supporter vous-même, et quelqu’un qui vous aime, parce que vous ne savez pas vous aimer assez et comme il faut. « Je voudrais que toute espèce de prochains et les voisins de ces prochains vous devinssent insupportables ; car alors il faudrait que vous fissiez de vous-même un ami et un ami au cœur fort et débordant. » Mais vous allez chez les autres pour dire du bien de vous, les amener à en dire et, de ce que vous les entendez en dire, en penser davantage. Vous allez chez les autres pour vous oublier ou pour vous chercher, et les deux ensemble, à savoir pour oublier celui que vous êtes et pour chercher celui que vous affectez d’être. Vous allez chez