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Luther, Calvin, Pascal, de Maistre, il proscrit l’art ; dès qu’un chrétien comprend à moitié ou aux trois quarts le Christianisme, il réduit l’art à être un auxiliaire modeste et servile de la morale : Tolstoï ; dès qu’un chrétien, encore que sincère, est chrétien superficiel, récent, accidentel et un peu de parti pris, et en somme n’y comprend rien, il prétend marier l’art au Christianisme : Chateaubriand.

Au fond le chrétien est homme de mort, d’ombre sépulcrale, amant de la mort. Regardez autour de vous : les chrétiens sont amoureux de la mort, et les hommes et femmes qui par complexion naturelle ont le goût de la mort sont chrétiens comme de disposition naturelle. Les prêtres chrétiens sont « l’espèce la plus farouche des nains, » des a créatures souterraines ».

Cette doctrine a — elle le sait bien et s’en vante avec raison — renouvelé la nature humaine ; seulement elle l’a faussée. Elle a créé des sentiments nouveaux qui sont antihumains au premier chef. Nietzsche fait au Christianisme le même reproche que le Christianisme faisait au Stoïcisme, ou très analogue. Le Christianisme faisait au Stoïcisme le reproche d’avoir prétendu supprimer les passions, au lieu de les avoir bien dirigées. Nietzsche reproche au Christianisme d’avoir, lui aussi, prétendu