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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/121

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ŒUVRES HISTORIQUES EN VERS

par un homme très informé, très intelligent, assez bon psychologue, moraliste judicieux, excellent faiseur de portraits, narrateur limpide et vif, elle est infiniment intéressante, captivante même.

Comment il faut lire la Henriade ? Posément, sans anxiété, sans transport (elle le permet), en saisissant bien ce qu’il y a dans chaque vers d’allusions à une foule d’événements, et en lisant surtout les notes de Voltaire, qui éclairent les allusions et complètent le cours d’histoire. Et, lue ainsi, elle est un vif plaisir de l’esprit dans un grand calme du cœur et de l’imagination. On y voit presque toute l’histoire de France, surtout ce que Voltaire en aime, dans la belle lumière d’un jour clair et un peu frais. C’est saint Louis, que, toutes les fois qu’il la rencontré, Voltaire a su honorer magnifiquement et judicieusement. Le saint roi apparaît à Henri IV au moment où celui-ci va donner l’assaut à Paris :

Comme il parlait ainsi, du profond d’une nue
Un fantôme éclatant se présente à sa vue :
Son corps majestueux, maître des éléments.
Descendait vers Bourbon sur les ailes des vents :
De la Divinité les vives étincelles
Étalaient sur son front des beautés immortelles ;
Ses yeux semblaient remplis de tendresse et d’horreur :
« Arrête, cria-t-il, trop malheureux vainqueur !
Tu vas abandonner aux flammes, au pillage,
De cent rois, tes aïeux, l’immortel héritage,
Ravager ton pays, tes temples, tes trésors,
Égorger tes sujets et régner sur des morts.
Arrête !… » À ces accents plus forts que le tonnerre,
Le soldat s’épouvante ; il embrasse la terre,
Il quitte le pillage. Henri plein de l’ardeur
Que le combat encore enflammait dans son cœur,
Semblable à l’Océan qui s’apaise et qui gronde :
« Ô fatal habitant de l invisible monde !