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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/164

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Voltaire

moyen âge. On y voit les gentilshommes normands commençant à disputer la Sicile aux Sarrasins qui s’y étaient établis au ixe siècle. C’est un roman de chevalerie arrangé pour la scène. On y rencontre, exprimés souvent en vers assez heureux, les grands sentiments de patriotisme, d’honneur, de fidélité au serment.

Il ne faut pas oublier qu’au moment même où l’école romantique mettait dans le mépris et rejetait dans l’ombre le théâtre de Voltaire, Victor Hugo, sans en rien dire, s’inspirait de toute une partie importante du théâtre de Voltaire. La tragédie de Voltaire que les Hernani et les Ruy Blas rappellent le plus, c’est Tancrède. Voyez, par exemple, cette scène toute empanachée, toute rutilante et pleine d’un bruit de fanfares. Sauf la hardiesse des métaphores, c’est une scène du théâtre de Hugo : Tancrède prend la défense d’Aménaïde persécutée par Orbassan :

TANCRÈDE
Ah ! ma seule présence

Est pour elle un reproche ! Il n’importe… Arrêtez,
Ministres de la mort, suspendez la vengeance.
Arrêtez ! Citoyens, j’entreprends sa défense,
Je suis son chevalier : ce père infortuné,
Prêt à mourir comme elle et non moins condamné,
Daigne avouer mon bras propice à l’innocence.
Que la seule valeur rende ici des arrêts.
Des dignes chevaliers c’est le plus beau partage ;
Que l’on ouvre la lice à l’honneur, au courage ;
Que les juges du camp fassent tous les apprêts.
Toi, superbe Orbassan, c’est toi que je défie ;
Viens mourir de mes mains ou m’arracher la vie ;
Tes exploits et ton nom ne sont pas sans éclat ;
Tu commandes ici, je veux t’en croire digne.
Je jette devant toi le gage du combat !

(Il jette son gantelet sur la scène.)

L’oses-tu relever ?