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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/167

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le dramatiste. ― tragédies

Et nous, de ces climats destructeurs implacables,
Nous, et d’or et de sang toujours insatiables,
Déserteurs de ces lois qu’il fallait enseigner,
Nous égorgeons ce peuple au lieu de le gagner.
Par nous tout est en sang, par nous tout est en poudre,
Et nous n’avons du ciel imité que la foudre.
Notre nom, je l’avoue, inspire la terreur ;
Les Espagnols sont craints, mais ils sont en horreur.
Fléaux du nouveau monde, injustes, vains, avares.
Nous seuls en ces climats nous sommes les barbares.
L’Américain, farouche en sa simplicité,
Nous égale en courage, et nous passe en bonté.
Hélas ! si comme vous il était sanguinaire,
S’il n’avait des vertus, vous n’auriez plus de père.
Avez-vous oublié qu’ils m’ont sauvé le jour ?
Avez-vous oublié que près de ce séjour
Je me vis entouré par ce peuple en furie,
Rendu cruel enfin par notre barbarie ?
Tous les miens mes yeux terminèrent leur sort.
J’étais seul, sans secours, et j’attendais la mort :
Mais à mon nom, mon fils, je vis tomber leurs armes ;
Un jeune Américain, les yeux baignés de larmes,
Au lieu de me frapper, embrassa mes genoux :
« Alvarez, me dit-il, Alvarez, est-ce vous ?
Vivez ! votre vertu nous est trop nécessaire :
Vivez ! Aux malheureux servez longtemps de père.
Qu’un peuple de tyrans, qui veut nous enchaîner,
Du moins par cet exemple apprenne à pardonner !
Allez ! La grandeur d’âme est ici le partage
Du peuple infortuné qu’ils ont nommé sauvage »
Eh bien ! vous gémissez ! Je sens qu’à ce récit
Votre cœur, malgré vous, s’émeut et s’adoucit.

L’humanité vous parle, ainsi que votre père.
 
GUSMAN

Eh bien ! vous l’ordonnez, je brise leurs liens[1].
J’y consens ; mais songez qu’il faut qu’ils soient chrétiens

  1. Les liens de captifs américains.