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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/168

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Voltaire

Ainsi le veut la loi : quitter l’idolâtrie
Est un titre en ces lieux pour mériter la vie ;
À la religion gagnons-les à ce prix ;
Commandons aux cœurs même, et forçons les esprits.
De la nécessité le pouvoir invincible
Traîne au pied des autels un courage inflexible.
Je veux que ces mortels, esclaves de ma loi,
Tremblent sous un seul Dieu, comme sous un seul roi.

ALVAREZ

Écoutez-moi, mon fils : plus que vous je désire
Qu’ici la vérité fonde un nouvel empire ;
Que le ciel et l’Espagne y soient sans ennemis ;
Mais les cœurs opprimés ne sont jamais soumis.
J’en ai gagné plus d’un ; je n’ai forcé personne ;
Et le vrai Dieu, mon fils, est le Dieu qui pardonne.

Voltaire n’a pas fait faire un très grand progrès à la tragédie française ; mais il l’a soutenue très honorablement. Il a essayé de lui donner plus de rapidité et aussi plus de pompe, de la rendre plus véhémente à la fois et plus théâtrale. C’était l’acheminer à devenir un opéra, ce qu’ont été plus tard la plupart des drames de Victor Hugo ; mais c’était la maintenir dans le goût des Français ; c’était l’enluminer, sinon l’illustrer, et la parer, sinon l’enrichir. Il est possible que ce fût nécessaire, et le succès de Voltaire tragique pendant un demi-siècle de son vivant et pendant un demi-siècle après sa mort lui donne raison. Pour nous, le théâtre tragique de Voltaire paraît encore un des plus ingénieux et un des plus honorables divertissements d’un homme de talent.