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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/237

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la correspondance

Vejanius armis
Herculis ad postem fixis, latet abditus agro.
[1]

C’est de cette retraite que je vous dis très sincèrement que je trouve des choses utiles et agréables dans tout ce que vous avez écrit ; que je vous pardonne cordialement de m’avoir pincé ; que je suis fâché de vous avoir donné quelques coups d’épingle ; que votre procédé me désarme pour jamais ; que bonhomie vaut mieux que raillerie ; et que je suis, Monsieur et cher confrère, de tout mon cœur, avec une véritable estime, et sans compliments, comme si de rien n’était, votre très dévoué, Voltaire. »

Cette correspondance fera longtemps encore l’étonnement et l’admiration des hommes. On la compare habituellement à celle de Cicéron et à celle de madame de Sévigné. Il n’est pas douteux que pour le fond, l’intérêt des sujets, l’importance des questions traitées, Voltaire n’égale Cicéron et ne l’emporte sur Mme de Sévigné. Pour l’esprit, il en a eu autant que l’un ou l’autre. Peut-être, si nous sortions de la question purement littéraire, trouverions-nous que quelque chose manque à cette correspondance de Voltaire, que l’on trouve avec émotion dans les lettres de Cicéron et dans celles de Mme de Sévigné, à savoir précisément l’émotion, la tendresse intime, l’effusion profonde du cœur. L’art même, quoi qu’on en ait dit parfois, gagne quelque chose aux sentiments et aux forces nouvelles que les affections de famille font naître dans l’âme. Voltaire a peut-être vécu trop uniquement par l’esprit, et dans ce recueil merveilleux, si plein, si abondant, si débordant de vie et de pensée, une place est vide encore, celle qu’auraient occupée le portrait brillant ou l’esquisse discrète d’une Pauline ou d’une Tullia.

  1. Vejanius a suspendu ses armes à la porte du temple d’Hercule, et vit retiré et caché à la campagne.