Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/106

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de la lyre. Vénus, la fille de Jupiter, s’arrête devant lui : elle prend la taille et la forme d’une jeune vierge, pour qu’en la reconnaissant il ne soit pas effrayé ; le héros est frappé de surprise et d’admiration à la vue de cette beauté, de cette taille et de ses superbes vêtemens. Sa tête était couverte d’un voile plus brillant que l’éclat de la flamme ; elle portait des bracelets recourbés et de riches pendans d’oreilles. Autour de son cou s’arrondissaient de superbes colliers d’or ; sur sa poitrine magnifique une parure admirable à voir brillait comme les rayons de la lune. Anchise est aussitôt pénétré d’amour ; il s’adresse en ces termes à la déesse :

« Salut, ô reine ! Sans doute vous habitez les palais des dieux, que vous soyez Diane ou Latone, ou la blonde Vénus, ou la vénérable Thémis ou Minerve aux yeux d’azur. Peut-être même êtes-vous l’une des Grâces qui vivent avec les dieux et que nous nommons immortelles. Peut-être êtes-vous l’une des nymphes habitant cette agréable forêt, ou bien l’une de celles qui demeurent sur cette belle montagne aux sources des fleuves, et parmi les humides prairies. Je vous construirai un autel sur un tertre élevé dans le bois le plus apparent d’Ida, et dans tous les temps je vous immolerai de superbes victimes. Soyez donc pleine de bienveillance pour moi : faites que je sois un héros illustre parmi les Troyens, que ma postérité soit florissante dans l’avenir, que moi-même je jouisse longtemps encore des lumières du soleil, que comblé de biens parmi les peuples j’arrive au seuil d’une longue vieillesse. »

Vénus, fille de Jupiter, lui répond en ces mots :

« Anchise, le plus illustre des mortels nés sur la terre ; pourquoi m’égaler aux divinités ? Je ne suis point une déesse ; je suis une mortelle : la mère qui me donna le jour est mortelle aussi ; mon père est l’illustre Otrée ; vous devez le connaître : il règne sur toute la Phrygie aux fortes murailles. Je sais également bien votre langue et la mienne : une Troyenne m’ayant reçue de ma tendre mère m’éleva dans notre palais et me prodigua ses soins dès ma plus tendre enfance. Ainsi, je parle également bien et votre langue et la mienne. Mercure à la baguette d’or vient de m’enlever à un chœur que conduisait Diane armée de flèches et qui se plaît au tumulte de la chasse. Nous étions là plusieurs nymphes et plusieurs vierges aux riches dots : nous jouions ensemble en formant un grand cercle. C’est là que m’a saisi le meurtrier d’Argus : il m’a conduit à travers les champs cultivés par les mains des hommes, à travers les terres incultes et désertes qu’habitent les bêtes sauvages au sein des vallées ténébreuses : mes pieds semblaient ne pas toucher la terre. Il m’a dit que j’étais destinée à partager la couche d’Anchise, que je serai son épouse fidèle, et que je lui donnerai de beaux enfans : après m’avoir montré votre demeure et révélé ces oracles, le meurtrier d’Argus est retourné dans l’assemblée des immortels ; moi cependant, j’arrive auprès de vous, guidée par l’inflexible nécessité. Mais je vous en supplie à genoux, Anchise, au nom de Jupiter et de vos illustres parens, car un héros tel que vous n’est pas né de mortels obscurs, conduisez-moi vierge et sans avoir goûté l’amour auprès de votre père, de votre mère prudente et de vos frères nés du même sang que vous, afin qu’ils voient si je suis destinée à faire une digne épouse. Envoyez aussi un rapide messager chez les Phrygiens aux nombreux coursiers pour prévenir de vos desseins mon père et ma mère que j’ai laissés dans l’affliction. Ils vous donneront de l’or en abondance et de somptueux vêtemens ; vous recevrez d’eux des présens nombreux et magnifiques. Ces devoirs accomplis, nous célébrerons un mariage désiré, qui sera honorable aux yeux des hommes et des dieux immortels. »

En parlant ainsi, Vénus répand un vif désir dans l’âme du berger. L’amour pénètre le cœur d’Anchise, qui répond par ces mots :

« Si vous êtes une mortelle, si vous êtes issue d’une femme, si, comme vous me le dites, l’illustre Otrée est votre père, si c’est par la volonté de Mercure que vous venez en ces lieux, vous serez dans tous les temps appelée mon épouse : nul des Dieux et des hommes ne m’empêchera de m’unir de suite d’amour avec vous ; Apollon lui-même devrait-il me percer de ses flèches terribles, je consentirais, femme semblables aux déesses, je consentirais après avoir partagé votre couche à descendre dans le sombre royaume de Pluton. »

En prononçant ces paroles il saisit la main de la déesse. Vénus au doux sourire se détourne, baisse ses beaux yeux et se glisse timidement dans la couche superbe. Elle était formée de tapis doux et délicats, des peaux d’ours et de lions rugissans tués sur les hautes montagnes. Tous