Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paresse, à l’amour de l’or et des plaisirs, à tous les vices d’une société où les croyances s’énervent, mais où les idées s’étendent et se fortifient, il oppose la sagesse de ses maximes. Les conseils qu’il donne à son frère s’appliquent à tous ses contemporains. Sa muse initie l’homme au culte d’une morale plus pure ; elle flétrit l’oisiveté comme un fléau et vante le travail comme une source inépuisable de vertus, de richesses et de bonheur. Poëte cyclique ainsi qu’Homère, Hésiode fonde une école de chantres gnomiques, semblable à l’école de ces chantres épiques que la Grèce salua du nom d’Homérides.

Ainsi l’époque de la première civilisation grecque se divise en trois périodes distinctes, dont Orphée, Homère et Hésiode sont les représentans. Un examen attentif des œuvres d’Homère et d’Hésiode atteste qu’ils ont dû naître en deux siècles différens sous le rapport de la religion et de la politique, de l’état social et de la poésie. Ces preuves, tirées de leurs ouvrages mêmes, nous semblent les plus propres à détruire l’idée de leur coexistence. Un critique célèbre, Benjamin Constant, place entre eux l’intervalle de deux siècles, et cette conjecture offre, selon nous, plus de vraisemblance que toutes les autres opinions, que nous nous bornerons à rappeler sommairement. Hérodote dit qu’ils ont vécu quatre cents ans avant lui. Plutarque raconte la lutte de ces deux poëtes, qui se disputèrent la palme des vers à Chalcis. Philostrate, Varron, Érasme, les considèrent aussi comme contemporains ; mais Philochore, Xénophane et d’autres auteurs soutiennent qu’Homère est plus ancien. Cicéron dit que ce poëte lui semble antérieur de beaucoup de siècles. Velleius Paterculus et Proclus croient Hésiode plus jeune, l’un de cent vingt années, l’autre de quatre siècles. Porphire prétend qu’il a vécu un siècle après Homère. Solin met entre eux l’espace de cent trente ans. L.-G. Giraldi, Fabricius, Saumaise, Leclerc, Dodwell, Wolff, assignent également à Hésiode une date postérieure. Dans ce conflit de sentimens divers, au milieu desquels Pausanias n’ose pas se prononcer, nous avons dû appeler la poésie au secours de la chronologie. La lecture des ouvrages d’Hésiode donne lieu de croire que, postérieur d’environ deux cents ans à Homère, il a vécu dans le huitième siècle avant l’ère chrétienne.

Quant à sa vie, elle a, comme celle d’Homère, fourni matière à des récits opposés.

D’abord, était-il originaire de Cume en Éolie ou d’Ascra en Béotie ? D’un côté, Plutarque dit, d’après Éphore, que son père, étant déjà établi dans Ascra, y épousa Pycimède. De l’autre, Suidas prétend qu’Hésiode, encore très-jeune, fut transporté par ses parens de Cume, sa patrie, dans Ascra. Strabon, Proclus et Tzetzès rapportent le même fait. Hérodote et Étienne de Byzance le font naître également à Cume.

L’examen de ses poëmes nous servira à résoudre une question d’ailleurs peu importante. Lorsqu’il raconte dans les Travaux et les Jours (v. 635) que son père s’est transporté de Cume dans Ascra pour y chercher des moyens d’existence, il n’ajoute pas y être venu avec lui. Si cette circonstance avait eu lieu, n’en aurait-il pas fait mention ? Un voyage maritime, surtout dans son enfance, n’aurait-il pas dû frapper son imagination et rester dans sa mémoire ? Il y a plus : il dit formellement dans le même poëme (v. 650) qu’il n’a jamais navigué qu’une seule fois, dans son trajet d’Aulis en Eubée, où il remporta le prix de poésie aux funérailles du roi Amphidamas. De ces deux passages on peut légitimement conclure qu’il naquit dans Ascra, où son père s’était établi. Ce père, dont il ne dit pas le nom, s’appelait Dius, selon beaucoup d’écrivains. Vraisemblablement il amassa quelque fortune dans Ascra, puisque, après sa mort, ses deux fils plaidèrent pour le partage de sa succession. Persès corrompit les juges et obtint la part la plus considérable ; mais Hésiode devint bientôt plus riche, grâce à sa frugalité et à son économie. Assez généreux pour soulager plusieurs fois les besoins de son frère, il tenta encore de le ramener à la sagesse en composant pour son instruction le poëme des Travaux et des Jours.

Hésiode préférait à la vie corrompue des cités l’innocence et la tranquillité des campagnes. Pasteur sur l’Hélicon, il exerçait un métier qui, dans les âges fabuleux et héroïques, avait été le partage des dieux et des rois. C’est là que les Muses, lui reprochant sa paresse, lui donnèrent une branche de laurier et l’animèrent du souffle poétique. Dès lors il se voua tout entier à leur culte ; amant de la gloire, il apprit que les fils du roi Amphidamas, pour célébrer les funérailles de leur père, avaient ouvert à Chalcis en Eubée un concours de poésie ; il y obtint la victoire et en remporta un trépied, qu’il dédia aux Muses de l’Hélicon par reconnaissance ou pour se conformer à l’usage de son siècle. Suivant Proclus, Panidès, frère d’Amphidamas, l’avait couronné comme ayant célébré, non la guerre et le carnage, mais l’agriculture et la paix. Diogène de Laerte (liv. 2, sect. 46) et Thomas Magister (argument des Grenouilles d’Aristophane) lui donnent pour antagoniste un chantre nommé Cercops. Plusieurs autres écrivains prétendent que c’était Homère lui-même dont il avait été vainqueur, mais ils ne méritent pas de créance. Ainsi l’ouvrage intitulé le Combat d’Homère et d’Hésiode a été sans doute fabriqué par quelque détracteur d’Homère ou par quelque grammairien postérieur au siècle d’Adrien. Le sujet de cet opuscule ressemble à ceux que les rhéteurs et les sophistes donnaient à traiter à leurs élèves. D’ailleurs l’argument le plus péremptoire contre une semblable lutte n’est-il pas le silence d’Hésiode ? S’il avait eu Homère pour rival, ne se serait-il pas vanté de l’avoir vaincu ?

Plutarque raconte, dans le Banquet des sept Sages, qu’Hésiode, après sa victoire, se rendit à Del-