Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nit. Le fils de Saturne ne lui a ni dérobé ni arraché aucune des prérogatives qui lui échurent sous les Titans, ces premiers dieux ; elle conserve tout entière la part d’autorité qu’elle obtint dans l’origine. Fille unique, elle n’est ni moins respectée ni moins puissante sur la terre, dans le ciel et sur la mer ; son pouvoir est encore plus vaste, parce que Jupiter l’honore. Quand elle veut favoriser un mortel, elle l’assiste avec empressement, et, selon sa volonté, elle le fait briller dans l’assemblée des peuples. Lorsque les hommes s’arment pour le combat meurtrier, c’est elle qui, à son gré, se hâte de lui accorder la victoire et de prodiguer la gloire au vainqueur. Aux jours où l’on rend la justice, elle s’assied auprès des rois vénérables. Si elle voit des rivaux lutter dans l’arène, toujours propice, elle vient les encourager et les secourir ; l’athlète vainqueur par sa force et par sa constance mérite promptement un prix magnifique, et transporté d’allégresse, couvre de gloire sa famille. Quand elle le veut, elle protège les écuyers qui montent sur les chars ; également favorable aux navigateurs qui affrontent le trajet difficile de la mer azurée, elle exauce les vœux qu’ils adressent à Hécate et au bruyant Neptune : cette illustre déesse leur procure aisément une abondante proie ou ne la leur montre que pour les en dépouiller si tel est son désir. Occupée avec Mercure à multiplier dans les étables les bœufs, les agneaux, les nombreux essaims de chèvres et de brebis à la toison épaisse, elle peut, comme il lui plaît, accroître ou diminuer les troupeaux. Rejeton unique de sa mère, elle vit comblée d’honneurs parmi tous les immortels. Le fils de Saturne la chargea encore d’élever et de nourrir les humains qui, après elle, devaient voir la lumière de l’aurore au loin étincelante. Ainsi dès le principe, elle devint la nourrice des enfans : tels sont ses nobles emplois.

Rhéa (34), amoureusement domptée par Saturne, mit au jour d’illustres enfans, Vesta , Cérès, Junon aux brodequins d’or, le redoutable Pluton qui habite sous la terre et porte un cœur inflexible, le bruyant Neptune et le prudent Jupiter, ce père des dieux et des hommes, dont le tonnerre ébranle la terre immense. Le grand Saturne dévorait ses enfans à mesure que des flancs sacrés de leur mère ils tombaient sur ses genoux ; il agissait ainsi dans la crainte qu’un autre des glorieux enfans du ciel ne possédât parmi les dieux l’autorité souveraine : car il avait appris de la Terre et d’Uranus couronné d’étoiles que, d’après l’ordre du Destin, un jour, malgré sa force, il serait vaincu par son propre fils et détrôné par les conseils du grand Jupiter. Loin de surveiller vainement son épouse, toujours habile à la tromper, il dévorait sa propre race, et Rhéa gémissait, accablée d’une douleur sans bornes. Enfin, prête à enfanter Jupiter, ce père des dieux et des hommes, elle supplia les deux auteurs de ses jours, la Terre et Uranus couronné d’étoiles, de lui suggérer le moyen de cacher la naissance de son nouveau fils et de venger la mort de tous ses enfans dévorés par l’astucieux Saturne. Prompts à exaucer les désirs de leur fille, ils lui apprirent le destin réservé au roi Saturne et à son fils magnanime ; ils l’envoyèrent à Lyctos, ville opulente de la Crète, au moment où elle allait mettre au jour le plus jeune de ses enfans, le grand Jupiter. C’est dans la vaste Crète que la Terre immense le reçut et se chargea du soin de le nourrir et de l’élever. Marchant à travers les ombres de la nuit rapide, elle le porta d’abord à Lyctos, puis, le prenant dans ses mains, elle le cacha sous une haute caverne, dans les entrailles de la terre divine, sur le mont Égée, au fond d’une épaisse forêt. Après avoir enveloppé de langes une pierre énorme, Rhéa la donna au fils d’Uranus, au puissant Saturne, ce premier roi des dieux. Saturne la saisit et l’engloutit dans ses flancs. L’insensé ! il ne prévoyait pas qu’en dévorant cette pierre, il sauvait son invincible fils qui, désormais à l’abri du péril, devait bientôt le dompter par la force de ses mains, le dépouiller de sa puissance et commander aux immortels. Cependant la vigueur et les membres superbes du jeune roi croissaient avec promptitude ; les années étant révolues, trompé par les perfides conseils de la Terre, l’astucieux Saturne rendit au jour toute sa race et succomba vaincu par la force et par l’adresse de son fils. D’abord il vomit la pierre qu’il avait dévorée la dernière et que Jupiter attacha dans la terre spacieuse, sur la divine Pytho, au milieu des gorges profondes du Parnasse, afin qu’elle devînt dans l’avenir un monument et une merveille pour les hommes. Jupiter affranchit de leurs liens douloureux tous ses oncles, enfans d’Uranus, que son père avait enchaînés dans sa démence. Ces dieux, reconnaissans d’un pareil bienfait, lui remirent ce tonnerre, ces éclairs, cette brûlante foudre que la Terre aux larges flancs avait jusqu’alors re-