Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/426

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premier soin fut d’entourer le vaisseau, suivant le conseil d’Argus, d’un câble bien tendu pour assujettir la charpente et la fortifier contre la violence des flots. Ils creusèrent ensuite depuis la proue jusqu’à la mer, un fossé d’une largeur suffisante et dont la pente augmentait toujours de plus en plus. On le garnit de pièces de bois bien polies, et on inclina la proue sur les premières, afin qu’emporté par son propre poids et poussé à force de bras, le vaisseau glissât plus facilement. On retourna les rames et on les attacha plus fortement aux bancs. S’étant ensuite rangés autour du vaisseau, ils appuyèrent contre les extrémités des rames leurs bras et leur poitrine. Tiphys, monté sur la poupe, donna le signal en jetant un grand cri. Au même instant, chacun déploie toutes ses forces ; le vaisseau s’ébranle, un dernier effort le pousse en avant, il glisse avec rapidité. On le suit en courant et en jetant des cris de joie. Les poutres gémissent et crient sous le poids, une épaisse fumée s’élève dans les airs, le vaisseau se précipite dans les flots. On le retient avec des cordes préparées pour cet usage. On arrange ensuite les rames, on apporte les voiles, le mât et les provisions. Tout étant ainsi disposé, on tira les places au sort. Chaque banc contenait deux hommes. Celui du milieu fut réservé d’une commune voix à Hercule et à Ancée. Tiphys fut chargé de diriger le gouvernail.

Sacrifice en l’honneur d’Apollon

On ramassa ensuite des pierres sur le rivage, on éleva un autel à Apollon, protecteur des rivages et des embarquements, et on étendit dessus des branches sèches d’olivier. Dans le même temps, les esclaves de Jason amenèrent deux taureaux. Les plus jeunes d’entre les Argonautes les conduisirent au pied de l’autel, et prèsentèrent avec l’orge sacrée l’eau nécessaire pour laver les mains. Jason s’adressant alors à Apollon : "ô toi ! dit-il, protecteur de Pagases et de la ville d’Ésonie, à laquelle mon père a donné son nom, Apollon, écoute ma prière ! Ce sont tes oracles qui m’ont engagé dans les périls que je vais affronter. Tu m’as promis lorsque j’allai te consulter à Delphes de faire réussir cette expédition. Conduis donc toi-même notre vaisseau vers ces bords éloignés, et ramène-le toi-même dans la Grèce avec tous mes compagnons. Nous t’immolerons sur ce même autel, à notre retour, autant de taureaux que nous serons alors de guerriers échappés aux périls, et j’enrichirai de mes prèsents les temples de Delphes et de Délos. Reçois donc aujourd’hui la première offrande que nous te prèsentons en montant sur ce vaisseau. Fais, dieu puissant, que nous partions heureusement sous tes auspices, qu’un vent favorable enfle nos voiles et que le calme nous accompagne toujours." En achevant cette prière, Jason répandit l’orge sacrée sur la tête des victimes qu’Hercule et Ancée se préparaient d’immoler. Hercule décharge à l’un des taureaux un coup de massue sur le front, et l’abat à ses pieds. Ancée frappe l’autre de sa hache, et lui fend le cou, l’animal chancelle et tombe sur ses cornes. Aussitôt on les égorge, on les dépouille et on les coupe par morceaux. Les cuisses, consacrées au dieu, sont mises à part. On les recouvre exactement de graisse et on les fait briller sur l’autel, tandis que Jason fait des libations de vin.

Cependant la flamme brille de toutes parts, et la fumée s’élève en longs tourbillons de pourpre. Le devin Idmon se réjouit en voyant ces heureux prèsages de la faveur du dieu : "Vous reviendrez, s’écria-t-il aussitôt, oui, vous reviendrez dans la Grèce chargés de la Toison d’or ; telle est la volonté des dieux. Mais combien vous aurez à soutenir auparavant de combats ! Pour moi qu’un destin cruel condamne à ne plus revoir ces lieux, je vais chercher au loin la mort dans les champs de l’Asie. De sinistres augures m’avaient instruit déjà de mon sort. Cependant j’ai quitté ma patrie pour vous suivre, et laisser ainsi à mes descendants une gloire immortelle." Les Argonautes, entendant ce discours, furent aussi touchés du sort d’Idmon que flattés du retour qu’il leur annonçait.

Querelle entre deux des Argonautes

Le soleil avait déjà parcouru plus de la moitié de sa carrière, et les ombres des rochers s’étendaient dans la plaine, lorsque les compagnons de Jason, ayant couvert le rivage d’épais feuillages, s’assirent tous ensemble pour prendre leur repas. Des viandes abondantes sont servies devant eux, un vin délicieux coule dans les coupes, des discours agréables se mêlent au festin. Une gaieté délicate et qui ne connaît point l’injure outrageante, se répand parmi les convives.

Cependant Jason, occupé de soins plus importants,