Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/43

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donc à Jason le commandement de cinquante Argonautes, et sur la terre et sur la mer, et tous applaudirent à l’ordre d’Héraclès, et revêtirent Jason de la suprême autorité.

Mais lorsque le soleil, brisant la ligne immense de l’horizon, pressa ses rapides coursiers pour faire place à la nuit ténébreuse, le fils d’Eson médita dans son cœur de lier les héros par une foi commune et des sermens d’alliance, afin qu’ils gardassent une sévère discipline. Et alors, ô Musée ! fils chéri d’Antiophêmes, il m’ordonna de préparer promptement un brillant sacrifice. Aussitôt j’apportai sur l’aride plage des morceaux de bois, dépouille du chêne dont le gland nourrit les hommes ; au-dessus, je plaçai dans un voile les offrandes abondantes destinées aux dieux, et alors j’égorgeai un grand taureau, puissant chef d’un troupeau de bœufs : tournant sa tête vers le ciel, je le frappai à mort et je répandis son sang de part et d’autre à l’entour du bûcher. Puis, retirant son cœur de ses flancs entr’ouverts, je le plaçai sur un gâteau, en l’arrosant avec du miel et du lait de brebis. J’ordonnai ensuite aux héros debout autour de moi, de saisir leurs lances et leurs épées, et de les plonger dans la peau et dans les entrailles du taureau. Je plaçai en outre au milieu un vase d’argile renfermant, selon les rites, un breuvage dont les élémens étaient de la farine, du sang de la victime et de l’eau de mer, et après y avoir fait ajouter de l’huile jusqu’au bord, je pris une fiole d’or, et, l’emplissant de ce mélange, je la présentai tour à tour à chacun des puissans rois, pour qu’ils y trempassent les lèvres ; puis j’ordonnai à Jason d’approcher du bûcher une torche de picéa. La flamme divine jaillit soudain. Alors, étendant les mains vers les flots de la mer retentissante, je prononçai ces paroles :

« Vous qui régnez sur l’Océan, dieux de l’abîme, vous tous qui habitez les rives et les profondeurs de la mer, je vous invoque, toi d’abord Nérée, le plus ancien de tous, avec tes cinquante filles ; toi, Glaucus, qui fus changé en poisson, et toi, Amphytrite, dont l’empire est immense ; Protée et Phorcyn, puissant Triton, vents rapides, zéphyrs qui avez des ailes d’or aux talons, astres qui nous éclairez du haut des cieux, épaisses ténèbres de la nuit, lumière du Soleil qui voles devant les pieds des coursiers divins, génies des mers, héros, dieux des rivages, fleuves qui vous jetez dans la mer, et toi-même Neptune à la chevelure noire, toi qui ébranles la terre, élance-toi des flots ; venez tous, je vous invoque, soyez témoins de notre serment. Si nous demeurons fidèles à Jason, si nous prenons tous avec joie notre part des travaux communs, chacun de nous reviendra sain et sauf dans sa patrie. Mais quiconque violera le traité qui nous lie, sans s’inquiéter du serment prêté, soyez témoins contre lui, toi Thémis, et vous furies vengeresses. »

C’est ainsi que je parlai ; ils y consentirent à l’unanimité, et jurèrent en étendant les mains. Après avoir prêté ce serment, ils entrèrent dans les profondeurs de leur navire tous en ordre, et posèrent leurs armes, et saisirent les rames dans leurs mains robustes. Tiphys leur ordonna alors de former une échelle avec des cordes étendues, de déployer les voiles et de s’éloigner du port à l’aide des câbles. Junon, épouse de Jupiter, envoya aussitôt un vent tranquille, qui poussa le navire Argo dans une douce navigation. Rois infatigables, ils maniaient les rames avec le courage de cœur et la force des bras, et le vaisseau sillonnait la mer immense, rejetant de sa carène rapide de larges flocons d’écume à droite et à gauche. Mais lors que le crépuscule sacré s’éleva au sein du grand fleuve Océan, et que l’aurore le suivit, apportant aux mortels et aux immortels sa lumière délicieuse, alors on aperçut le rivage, les bords et les sommets orageux du Pélion, couvert de bois. Tiphys saisit aussitôt le gouvernail des deux mains et ordonna de fendre l’onde sous les rames : ils arrivèrent ainsi rapidement au rivage, ils appuyèrent l’échelle de bois sur le port, les héros Minyens descendirent et cessèrent toute fatigue. Et l’écuyer Pelée se mit à les haranguer, groupés à l’entour de lui.

« O amis, voyez-vous cette montagne élevée, dont le sommet est couronné d’ombrages. Là, dans une caverne habite Chiron, le plus juste des Centaures qui furent nourris sur le Phaluè et les cimes élevées du Pinde. Il distribue la justice aux mortels, et leur donne des remèdes pour leurs maladies. D’autrefois, prenant la cithare des mains de Phœbus, ou la phorminx, qui rend un son semblable à la tortue de Mercure, il déclare les jugemens à tous les voisins. C’est là que Thétis aux pieds d’argent, recevant mon fils nouveau né, le prit dans ses