Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/433

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Instruits de l’arrivée des Argonautes et de leur origine, les Dolions et Cyzique lui-même allèrent au-devant d’eux, les reçurent avec joie et les invitèrent à quitter le port dans lequel ils étaient mouillés pour gagner à la rame celui de la ville, où ils pourraient prendre terre et amarrer leur vaisseau. Les Argonautes, ayant suivi ce conseil, élevèrent sur le rivage un autel à Apollon, protecteur des débarquements, et se préparèrent à lui offrir un sacrifice. Cyzique, averti par un oracle d’aller au-devant de tous leurs désirs, leur fournit le vin et les victimes dont ils avaient besoin. Ce prince, comme la plupart des compagnons de Jason, était dans la fleur de la jeunesse et ne pouvait encore se glorifier d’être père. Clité, son épouse, qu’il venait d’obtenir par de riches prèsents, était fille de Mérops [1], originaire de Percote. Les plaisirs qui l’attendaient auprès de cette jeune beauté ne purent l’empêcher de passer la nuit avec les Argonautes et de prendre part à un repas où l’on se fit mutuellement mille questions. Cyzique s’informait du but de leur voyage et des ordres qu’ils avaient reçus de Pélias. Les Argonautes l’interrogeaient à leur tour sur les villes et les peuples du voisinage. Il leur nomma tous ceux qui habitaient les bords de la Propontide. Ses connaissances ne s’étendaient point au-delà et il ne put satisfaire davantage leur curiosité. Au lever de l’aurore, ils résolurent de monter sur le mont Dindyme pour reconnaître eux-mêmes et contempler la route qu’ils allaient parcourir.

Cependant le vaisseau était toujours dans le port de Chytus, où ils l’avaient fait entrer après avoir quitté leur premier mouillage. Tandis qu’ils suivaient en gravissant un chemin qui fut depuis appelé le chemin de Jason, les géants, par une autre route, descendirent avec impétuosité de la montagne et entreprirent de combler avec d’énormes pierres l’entrée du port, espérant d’y prendre le vaisseau comme on prend dans une fosse un animal féroce. Mais Hercule, qui était heureusement resté avec quelques-uns des plus jeunes, ayant bandé son arc, en renversa d’abord plusieurs sur le sable. Les autres, saisissant aussitôt des quartiers de rocher, les lancèrent contre lui et commencèrent un combat que l’implacable Junon réservait depuis longtemps pour être un des travaux d’Hercule. D’un autre côté, les héros qui n’étaient pas encore arrivés au sommet de la montagne, voyant le dessein des géants, descendirent avec précipitation, fondirent sur eux à coup de flèches et de lances et les exterminèrent jusqu’au dernier. Tels qu’on voit des arbres, qui naguère s’élevaient jusqu’aux nues, abattus par la hache et jetés sur le bord de la mer pour être humectés par les flots, tels les géants, étendus sur le sable, bordent le détroit qui forme l’entrée du port. Une partie de leur corps est plongée dans la mer, l’autre est étendue sur le rivage, et ils servent en même temps de pâture aux poissons et aux vautours.

Les Argonautes ayant quitté le pays des Dolions y sont rejetés par les vents contraires. La nuit empêche de se reconnaître ; on se bat.

Délivrés de ce danger, les Argonautes profitèrent d’un vent favorable et mirent à la voile. Ayant vogué tout le jour au gré de leurs désirs, ils furent repoussés pendant la nuit par les vents contraires et obligés d’aborder de nouveau chez les Dolions. On attacha le vaisseau à un rocher qui porte encore le nom de pierre sacrée, et l’on prit terre sans que personne reconnût la presqu’île d’où ils étaient partis le matin. Les Dolions, de leur côté, trompés par les ténèbres et ne songeant plus aux Argonautes, qu’ils croyaient déjà bien loin, s’imaginèrent que c’était une troupe de Pélasges qui venait les attaquer et prirent aussitôt les armes pour les repousser. Déjà le bruit des lances et des boucliers retentit de toutes parts. On se mêle avec la rapidité de la flamme qui dévore une aride forêt [2]. Les malheureux Dolions ne peuvent soutenir le choc et sont massacrés par les Argonautes. Cyzique lui-même ne doit plus revoir son épouse chérie. Atteint à la poitrine d’un coup que lui porte Jason, il est renversé sur le sable et succombe à sa destinée.

Mort de Cyzique, roi des Dolion et de Clité son épouse

Cruelle destinée que nul mortel ne peut éviter, comme une barrière insurmontable, tu nous environnes de tous côtés ! Cyzique, en voyant partir les Argonautes, se croit à l’abri de tout danger de leur part, et voilà qu’au milieu de cette nuit même, en combattant contre eux, un coup mortel vient trancher le fil de ses jours. Un grand nombre de ceux qui l’accompagnaient subirent le même sort. Téléclée et Mégabronte périssent par la main d’Hercule. Sphodris est

  1. Roi de Pityie, ville de la Troade, dont il a été question ci-devant. Ses deux fils, Adraste et Amphius, commandaient une partie des Troyens au siège de Troie. Homère, Iliade, liv. II, vers 835.
  2. :Ac velut immissi diversis partibus ignes
    Arentem in silvam . . .
    Virg., Aen., XII, 521.