Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et lui donna les grâces de la forme et les forces de la taille. Quand, s’étant approchés, ils jetèrent par un mouvement naturel les yeux les uns sur les autres, Myniens et Éétes furent également étonnés. Devant eux Ééte sur son char, comme le soleil, dardait de tous côtés des rayons d’or par la splendeur de ses vêtemens. Sa tête était environnée d’une couronne qui jetait des éclairs de magnificence : il tenait dans les mains un sceptre brillant comme les rayons des étoiles. De chaque côté étaient ses filles, au milieu desquelles il était orgueilleusement traîné par ses coursiers. Il s’approcha du navire en jetant autour de lui des regards furieux, et, arrachant de sa poitrine sa voix frémissante, il prononça d’horribles menaces et hurla ces paroles terribles :

« Dites, qui êtes-vous ? Qui vous a amenés ici ? Comment êtes-vous parvenus en ces lieux ? Comment n’avez-vous pas frémi de terreur en méprisant ainsi mon pouvoir, en méprisant le peuple soumis à mon sceptre, les Colchyens, guerriers redoutables à la lance et que Mars lui-même ne saurait surpasser ; peuple illustre qui combat vaillamment ses ennemis. »

Il dit, et les nôtres se sentirent glacés de frayeur. Mais Junon, la vénérable déesse, inspira du courage à Jason et il répondit avec une colère non moins grande :

« Nous ne venons pas ici comme des voleurs, jamais nous n’avons envahi une terre en vagabonds. Forcés par une injure fatale, nous avons entrepris une conquête que plusieurs désirent. C’est à cause de toi que nous entreprenons cette pénible expédition. Pélias, fils de Neptune, m’a imposé cette conquête. Il m’a ordonné de ne pas rentrer dans la belle ville de Yolchos sans rapporter cette belle toison, objet de mes désirs. Mes compagnons bien-aimés ne sont pas des hommes à mépriser : les uns sont nés du sang des Dieux, les autres du sang des héros, et certes aucun d’eux n’est inhabile aux guerres terribles et aux chances hasardeuses des combats. Mais nous préférerions être reçus par toi comme des hôtes bienveillans. »

Il dit ; l’âme d’Ééte fut émue comme par une tempête : il nous jeta un regard terrible, et dès-lors il médita dans son cœur une vengeance effroyable contre les héros : cependant il leur répondit par ces paroles insidieuses :

« Si vous avez l’intention de déclarer la guerre aux Cholques et de les attaquer, soyez persuadés que vos guerriers useront inutilement leurs forces : mais maintenant même je vous permets d’enlever cette toison et de retourner dans votre patrie : si vous étiez battus par nos phalanges, votre navire serait détruit ; si au contraire vous vous rendez à mes avis, ce qui vous sera bien plus utile, vous choisirez le meilleur d’entre vous ou celui qui est le plus noble, afin qu’abandonnant les autres il s’expose seul aux travaux que je lui proposerai pour enlever la toison d’or : alors elle deviendra voire bien ! »

Ayant ainsi parlé, il poussa les chevaux qui l’entraînèrent rapidement loin de nous. Le cœur des Myniens était en proie à la douleur ; ils regrettèrent alors profondément Hercule ; car ils ne pensaient pas qu’ils pourraient lutter sans lui contre la nation impétueuse et invincible des Cholques.

Maintenant, ô Musée, je te raconterai brièvement tout ce qu’ont souffert les Myniens et les grandes choses qu’ils ont accomplies ; comment d’une course rapide le belliqueux Argos, fils de Phrixus, se rendit du palais d’Ééte vers les Myniens. Il avait été enfanté par Chalciope qui fut forcée, par les menaces de son père, à s’unir d’amour avec Phrixus quand il vint à Colches sur le dos du bélier. Il raconta aux Myniens tout ce que l’impie Ééte avait l’intention de faire contre eux. Je te dirai, ô Musée, comment l’infortunée Médée, par la volonté de Junon, s’abandonna aux tendres séductions de Jason : Cythérée, qui nourrit les amours, excita en elle d’ardens désirs, et l’atroce Érinnys lança une flèche dans son sein ; comment Jason parvint à courber sous le joug les taureaux dont les naseaux vomissaient la flamme et laboura quatre arpens qu’il ensemença de la semence apportée par Phrixus quand il vint dans la maison d’Ééte, et comment des dents du dragon il recueillit une moisson de guerriers ; comment d’une main funeste il tua cette génération ennemie et se couvrit ainsi d’une gloire éclatante ; comment Médée, la vierge malheureuse, protégée par les brouillards de la nuit, et couverte d’un simple voile, se glissa en secret loin du palais d’Ééte : la Destinée respectable et les Amours qui la subjuguaient la conduisaient au navire Argo, sans qu’elle craignît la colère de son père. Je te dirai encore comment s’étant jetée au cou de Jason elle l’embrassa et déposa d’ardens baisers sur son sein et sur sa figure charmante : ses joues étaient mouillées de larmes, et son dé-