Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/96

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il aperçoit sur la vaste mer un vaisseau rapide ; dans ce vaisseau se trouvaient beaucoup d’hommes pleins de courage, des Crétois arrivant de Gnosse, ville de Minos, destinés à offrir un jour des sacrifices à la divinité, à publier les oracles du brillant Apollon au glaive d’or, lorsqu’il annoncera ses prophéties immortelles dans les vallons du Parnasse. Ces Crétois, dans l’intention de faire le négoce et d’amasser des richesses, voguaient sur leur léger navire vers la sablonneuse Pylos et les hommes qui l’habitent. Apollon les ayant découverts se précipite dans les ondes et, sous la forme d’un dauphin, se place sur le navire comme un monstre immense et terrible. Aucun des nautoniers ne le remarqua, aucun ne l’aperçut, mais chaque fois que le dauphin s’agitait, il remuait toutes les poutres du vaisseau ; les matelots tremblans restaient assis et gardaient le silence ; ils ne tendaient point les cordages, ils ne déployaient pas les voiles, mais ils naviguaient toujours dans la même direction où d’abord ils avaient été lancés à force de rames. Nôtus, de son souffle impétueux, poussait avec force le rapide navire. D’abord ils doublèrent le cap Maléa, côtoyèrent la Laconie, Hélos située sur les bords de la mer et le pays du soleil fécondant, Ténare, où paissent toujours les troupeaux du puissant Soleil, qui règne seul dans cette charmante contrée.

C’est là que les Crétois voulaient arrêter leur vaisseau, et voir, en descendant, si le monstre resterait sur le pont du navire, ou s’il se plongerait dans l’onde poissonneuse : mais le vaisseau aux larges flancs refuse d’obéir au gouvernail ; il continue sa route en côtoyant le fertile Péloponèse. Le puissant Apollon de son souffle le dirige sans effort ; le navire poursuit sa course rapide, il passe devant Arène, l’agréable Argyphie, Thryos où l’Alphée offre un gué facile, devant la sablonneuse Pylos et les hommes qui l’habitent. Il franchit Crune, la Chalcide, Dyme, et la divine Élide où règnent les Épéens. Après avoir franchi les rivages de Phère, on vit se dessiner au sein des nuages la haute montagne d’Ithaque, Samé, Dulichium, et la verte Zacynthe. Puis le navire ayant côtoyé tout le Péloponèse, on découvrit le vaste golfe de Crissa, qui lui sert de limite. En cet instant un vent violent et serein, le zéphyr, obéissant à la volonté de Jupiter, se précipite des cieux, afin que le vaisseau fende plus rapidement de sa proue les flots salés de la mer. En ce moment les Crétois se dirigent vers l’aurore et le soleil. Un dieu les guide, c’est Apollon, fils de Jupiter : ils arrivent bientôt dans l’heureuse Crissa, fertile en vignes ; ils entrent au port, le large vaisseau s’enfonce dans le sable.

Apollon s’élance aussitôt du navire, pareil à un météore qui paraîtrait en plein jour : mille rayons lui forment une auréole, et sa splendeur monte jusqu’aux cieux. Le dieu pénètre en son sanctuaire au milieu des trépieds sacrés. Lui-même brille d’une vive flamme, signe de sa présence, et son éclat se répand sur toute la ville de Crissa : les épouses des Crisséens et leurs filles aux belles ceintures jettent vers le ciel un cri religieux à l’apparition d’Apollon. Chacun est saisi de crainte. Aussitôt Phébus, rapide comme la pensée, s’élance sur le navire sous les traits d’un héros vigoureux et vaillant, resplendissant de la fleur de l’âge, et sa chevelure flottant sur ses larges épaules ; alors il s’adresse aux Crétois et leur dit ces paroles :

« Qui donc êtes-vous, ô étrangers ? De quels pays venez-vous à travers les plaines liquides ? Est-ce pour vous livrer au commerce ou bien errez-vous au hasard comme des pirates, jouant leur vie et fendant la mer, pour surprendre et ravager les nations lointaines ? Pourquoi rester ainsi immobiles et tremblans, ne pas descendre à terre et ne pas enlever les agrès du navire ? C’est cependant ainsi que font les nautoniers lorsque, après les fatigues d’une longue traversée, ils touchent enfin aux rivages : car alors ils éprouvent un vif désir de prendre une douce nourriture. »

Par ces paroles le dieu renouvelle leur courage, et le chef des Crétois lui répond en ces mots.

« Étranger, qui par votre figure et votre taille ne ressemblez point aux hommes, mais aux dieux immortels, salut ! Soyez comblé de félicité et que les habitans de l’Olympe vous accordent tous les biens. Parlez-moi avec sincérité et faites-moi connaître ce peuple et ce pays. Quels hommes sont nés en ces lieux ? Nous désirons aller à Pylos, nous sommes partis de la Crète où nous nous glorifions d’être nés, et nous avons franchi les vastes mers. Maintenant, impatiens du retour, c’est malgré nous que notre vaisseau nous a conduits en ces lieux par une autre route et par d’autres chemins. Une divi-