Mimile s’était bravement emparé de son bol, pendant que Charlot regardait le sien d’un air indécis.
« Eh bien, que fais-tu là, toi ? dit le chauffeur.
— C’est que je voudrais un peu de savon.
— Du savon pour mettre dans ta soupe ? drôle de goût, par exemple !
— Non, monsieur, c’est pour me laver les mains avant de manger. Regardez, elles sont toutes noires.
— Te laver les mains !… mille sabords ! En voilà une idée !… Il faut laisser ça aux belles dames. D’abord, ici, c’est défendu… Regarde… »
Et le chauffeur étala sous le nez de Charlot deux mains formidables, d’un plus beau noir que le charbon qui lui servait à alimenter sa machine.
Charlot les considérait d’un air consterné.
« Se laver les mains ! reprit le chauffeur en éclatant de rire ; il faut vieillir pour entendre dire de pareilles choses à bord. Tu ne sais donc pas, petit malheureux, que ça amollit la peau, et qu’avec des mains molles on n’est plus bon à rien en voyage ?… Une dernière fois, enlève ta soupe et détale. »
Charlot prit son bol d’un air piteux et s’en alla rejoindre Mimile, qui mangeait tranquillement sa soupe en se promenant.
« Est-ce que tu trouves ça bon, toi ? lui demanda-t-il en réprimant une moue dédaigneuse.
— Tiens, tu crois peut-être, répondit Mimile, que je vais me laisser mourir de faim devant une soupe à l’oignon. Rappelle-toi le fromage d’hier. J’aime mieux ceci, après tout ; c’est chaud.